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Comment Netflix est en train de transformer le processus créatif derrière les séries

Netflix est-il en train de révolutionner la manière même de créer les séries ? C’est ce que pense J. Michael Straczynski, scénariste de Sense8 !

Comme tout bon storyteller, J. Michael Straczynski ne peut s’empêcher d’exposer sa vision sans l’illustrer d’une histoire.

J. Michael Straczynski, Joe pour les intimes, 61 ans, est de ces hommes à la carrière si remplie qu’il est presque impossible de ne pas avoir déjà vu l’une de ses réalisations.

Et pour cause, si Joe est le créateur de la fameuse série Babylon 5, il a également été scénariste aussi bien sur World War Z, Thor, que sur la Cinquième Dimension, Walter Texas Ranger, Arabesque, ou encore Jayce et les Conquérants de la lumière.
Un homme, ou plutôt un “monstre” du 7ème art, que nous avons rencontré à Los Gatos (Californie) lors de notre récente visite des bureaux de Netflix.

Présent au côté de Peter Friedlander (producteur exécutif pour Netflix sur House of Cards, Marco Polo, Hemlock Grove, Daredevil, etc.) pour défendre sa dernière création, Sense8, Joe arrive très vite sur le sujet de la création de séries au sens large.

Et c’est là que de manière assez surprenante, il se met à raconter une histoire d’éléphants pour exprimer son sentiment de manière allégorique.

C’est ainsi que de sa voix mi-grave, débordant de passion pour son sujet, qu’il commence la narration de cette histoire vraie :

Un homme passait à côté d’un troupeau d’éléphants lorsqu’il fut frappé de découvrir qu’ils étaient uniquement retenus par une petite corde attachée sur une patte avant. Pas de cages ni de chaînes, il était évident que les éléphants auraient pu briser cette corde et s’enfuir à tout moment… mais pour une raison inconnue, ils ne le faisaient pas. 

L’homme alla voir leur dresseur pour demander pourquoi ces animaux restaient là sans essayer de s’échapper. Le dresseur lui expliqua que : lorsque les éléphants étaient jeunes et beaucoup plus petits, ils utilisaient une corde de la même taille pour les attacher. Et maintenant qu’ils sont devenus adultes, cette corde est suffisante pour les retenir. En effet, en grandissant, ils se sont conditionnés à croire qu’ils ne pouvaient pas s’échapper. Ils pensent que la corde est encore suffisante pour les retenir, alors ils n’essayent plus jamais de s’en libérer“.

A ce stade, vous pourriez vous demander en quoi cette histoire d’éléphants et de corde avait un quelconque lien avec la création d’une série.

J. Michael Straczynski va ainsi expliciter un sentiment qu’il a pour toute l’industrie. Les scénaristes et les producteurs sont majoritairement des éléphants à qui nous avons très tôt attaché une petite corde. Ils ont ainsi intériorisé le fait qu’une série doit être constituée d’une vingtaine d’épisodes de 43 minutes (22 minutes s’il s’agit d’une comédie), le premier installe les personnages et l’intrigue, et chaque épisode se terminera par un “cliffhanger” qui va laisser l’audience dans un moment de suspense. Les scénaristes auront rarement plus de 3 épisodes écrits au moment du début du tournage… le premier (ou Pilote) étant le prototype d’une série qui ne va pas voir le jour dans la plupart des cas.

Pour Joe, c’est la manière même de concevoir les séries qui est à revoir.

C’est la raison pour laquelle Sense8 est une exclusivité Netflix.

En fait, “cette série ne pouvait être réalisée qu’avec Netflix”, lance Joe.

Pour justifier ce point de vue, il l’illustrera de 3 points majeurs où la liberté offerte par Netflix a permis de se libérer de la corde accrochée à son pied :

  • 0% de la série a été tournée en studio, 100% sur place (c’est à dire San Francisco, Chicago, Londres, Reykjavík, Nairobi, Séoul, Mexico, Mumbai et Berlin). Un choix artistique majeur qui s’avère peu économique et peu pratique (surtout que cela oblige à réaliser le point suivant)
  • L’ensemble des épisodes devaient être écrits avant de débuter le tournage (pas de pilote donc) pour permettre de tourner l’ensemble des scènes d’un pays en un seul voyage
  • Une série tournée comme un film qui brise les rythmes classiques (pas d’explication dès le premier épisode, on saute dans l’action sans avoir l’ensemble des cartes en main).

Pour J. Michael Straczynski, si le syndrome de l’éléphant et de la corde est bien réel, Netflix fait partie des seuls acteurs qui osent montrer qu’il est possible de briser la corde pour aller plus loin.

Peter Friedlander interviendra alors pour partager la vision de Netflix, celle de “trouver les visionnaires qui savent ce qu’ils veulent faire… et qui vont pouvoir donner naissance à la version la plus pure de l’histoire qu’ils veulent raconter. Nous voulons encourager les storytellers, les inspirer… Sense8 souhaite véritablement amener une révélation (“eye-opener”) pour les créatifs du monde de la télévision.”

Les équipes de Sense8 espèrent donc amener un moment transformateur pour le genre. Alors, y aura-t-il un avant et un après Sense8 ?

 

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Netflix
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Par : Netflix, Inc.
4.1 / 5
14,5 M avis
5 commentaires
5 commentaires
  1. Je pense que le mode de diffusion joue un grand rôle ici aussi. Dans un format classique (1 épisode par semaine), il faut accrocher le téléspectateur en 1 épisode (voir 1 double épisode) pour 1 saison entière. Avec tous les épisodes disponibles d’un coup, les créateurs peuvent se permettre de le faire en 2, 3 voir 4 épisodes.
    Ca permet aussi des histoires + complexes car on va enchainer les épisodes + rapidement.

  2. Y’a pas que Netflix, HBO le fait aussi… Et c’est une des raisons pour lesquelles j’aime les mangas, le scénario est souvent plus construit que dans les séries TV classiques…

    Dans une série télé classique, en fait, on peut ne regarder que les premiers épisodes de chaque saison pour suivre l’intrigue, tous les épisodes entre deux ne servent à rien >_>

    1. “Dans une série télé classique, en fait, on peut ne regarder que les premiers épisodes de chaque saison pour suivre l’intrigue, tous les épisodes entre deux ne servent à rien >_>”

      Plutôt que de parler de “série télé classique” (trop vague), il faudrait plutôt parler de séries feuilletonnantes (qui nécessitent de voir les épisodes dans l’ordre, comme Les Soprano, 24h Chrono, Mad Men, Game of Thrones ou Wayward Pines) et celles peu ou pas feuilletonnantes (la plupart des polars procéduraux du type Les Experts, Bones, etc.) ou, en effet, on peut se contenter de visionner une poignée d’épisodes par saison pour suivre le fil rouge. Mais un procédural n’a pas non plus la même fonction qu’une série feuilletonnante qui fonctionne comme un roman.

      Par rapport à l’article, je ne suis pas trop chaud pour que Sense8 devienne une norme. Une série ne doit pas devenir simplement un long film de 6, 8 ou 10 heures. Il doit tout de même y avoir des codes à respecter, un juste milieu à trouver (ce que propose le câble US par exemple avec des saisons plus courtes de 10-13 épisodes concernant le volume). Je n’ai pas encore vu la série mais j’ai lu que c’était lent à démarrer, qu’il fallait attendre plusieurs épisodes pour que “ça bouge vraiment”. A l’heure où il y a de plus en plus de séries sur le marché (environ 400 aux Etats-Unis pour l’année 2015), c’est compliqué de ne pas être un minimum efficace dès les premières heures.

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