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Ego de Valentin Pringuay, un roman à lire dans tous les bons navigateurs web

Cela fait un petit moment que Valentin Pringay, blogueur à ses heures (et même parfois à dix-sept heures), me parle de son idée, qui est devenue…

Cela fait un petit moment que Valentin Pringay, blogueur à ses heures (et même parfois à dix-sept heures), me parle de son idée, qui est devenue projet, puis réalité depuis ce jour : diffuser simultanément sur plusieurs blogs des extraits de son recueil de nouvelles “Instants d’éternité”.

Valentin, qui manie la plume sur internet mais pas que, est aussi romancier. “Instants d’éternité” regroupe plusieurs nouvelles reliées entre elles, dont différents extraits seront publiés sur une sélection de blogs dont Presse-citron fait partie, puisque Valentin m’avait proposé d’inaugurer l’expérience dans ces colonnes.

Chaque extrait est accompagné d’une illustration visuelle ou sonore choisie par Valentin parmi des artistes qu’il affectionne ou dont il juge les œuvres représentatives de ses écrits. Pour l’extrait de Ego ci-dessous, c’est Shopgirl par Exomène qui a été choisi, que vous pouvez retrouver sur sa page MySpace : http://www.myspace.com/exomne.

Un autre extrait est visible chez Flavien sur le Blog du Modérateur, publié il y a quelques minutes. L’expérience de la publication communautaire sur internet n’est pas inédite, mais j’aime bien la démarche et c’est la raison pour laquelle j’y souscris.

Voici le premier extrait d’Ego. Vous pouvez suivre l’évolution du projet sur la page dédiée : http://webtribulation.com/instants-deternite/

Instants d’éternité – Ego

07 – Shopgirl by Exomène

Table une.

La viande est figée sous une fine pellicule de sauce dont les relents d’oignons viennent s’accorder étrangement à l’odeur du sang qui est omniprésente. Un morceau de pomme de terre repose à demi sur le bord de l’assiette, piqué au bout d’une fourchette. Cela donne à l’ensemble un air très art contemporain.

Un verre de vin renversé vient ajouter un peu à cette impression, formant l’une de ces silhouettes que les psychologues vous montrent en vous demandant à quoi cela vous fait penser.

En l’occurrence, Andrew Shepard trouva que cela faisait penser à une sorte de mille-pattes pourpre qui serpentait maladroitement au milieu de la table.

Andrew quitta cette table en mettant sa cigarette à la bouche d’un geste désinvolte. Le Baltimore était un restaurant qu’il connaissait bien. Marcher là sans une jeune fille à séduire était probablement une insulte à sa réputation. Le maître d’hôtel l’avait d’ailleurs interpellé d’un respectueux :

« -Bonsoir monsieur Shepard. Veuillez nous excuser mais nous allons être dans l’impossibilité de servir ce soir. Le restaurant fait l’objet d’une enquête criminelle. »

Il n’était peut-être jamais venu à l’idée du maître d’hôtel que Andrew n’était pas seulement qu’un bon client, qu’un coureur de jupons invétéré. Aussi difficile que cela puisse paraître, il était aussi officier de police.

Table douze.

Ici ça faisait beaucoup plus « gros titre des journaux ». Les assiettes étaient presque vides quand un homme avait commencé à vider son chargeur sur eux. Cet homme mangeait calmement du foie gras hors de prix quand il avait sorti une arme automatique et avait appuyé longuement sur la gâchette dans une seule et unique rafale. Cinq victimes.

Ici c’était un vieux monsieur dont le visage avait été retiré de sa propre assiette, un moulage de sa joue dans les restes du porc en sauce. Une balle avait traversé de part en part le verre de cristal dans un éclaboussement vermeil. Pas de mille-pattes cette fois. Plutôt un point sanglant ou un soleil pourpre.

Il passa la main sur son visage avec une mine fatiguée avant de jeter un coup d’œil sur le visage du mort.

« -Merde, jura-t-il. Mais je le connais. »

Il n’y avait aucune compassion dans cette voix. C’était plus de l’étonnement. Comment aurait-il pu avoir de la compassion pour ce type qui l’avait fait tomber pour fraude fiscale l’année dernière ?

« -Qui c’est ? », demanda l’un de ses collègues sans trop de curiosité.

Andrew se rendit compte qu’il ne connaissait plus son nom.

« -C’est un contrôleur fiscal, répondit-il. Un sale enfoiré. »

Le collègue le regarda à demi choqué.

« -Hé Andy, il est mort, lui annonça-t-il. Ça ne sert plus à rien de faire son procès. »

Andrew trouvait pourtant que c’était justement le meilleur moment pour faire un  procès.

« –Dieu. Si tu traînes dans le coin, pensa-t-il. Envoie le en enfer. »

Pas qu’il faille envoyer tous les contrôleurs fiscaux en enfer, mais celui-ci s’était acharné sur Andrew en exagérant quelques chiffres pour être sûr de le faire plonger. Il faut dire que le policier l’avait menacé et avait été des moins coopératifs. Il se souvenait de l’une de leurs dernières conversations :

« -Excusez moi j’ai un rendez vous au Baltimore dans dix minutes », avait dit Andrew.

« -La nourriture est bonne là-bas ? »

« -Excellente. »

« -Dommage que vous n’ayez bientôt plus les moyens d’y aller. »

Le cynisme du contrôleur avait donné envie à Andrew de le tuer. De lui mettre les mains autour du cou et de serrer jusqu’à étouffement.

Mais aujourd’hui il était mort. Il avait été au Baltimore sur ses conseils et y avait été tué. Andrew comprit que s’il n’avait jamais parlé de ce restaurant à son contrôleur fiscal, celui-ci serait probablement encore en vie. Est-ce qu’il en ressentit la moindre culpabilité ? Non, aucune. Un sourire passa simplement sur ses lèvres.

Il écrasa sa cigarette dans le cendrier de la table de son contrôler fiscal avec un air satisfait. Il s’avança vers la troisième table où il y avait deux victimes.

Table vingt.

La surprise est encore plus grande cette fois. La jeune femme aux longs cheveux blonds qui repose enfoncée dans son fauteuil avec deux balles dans la tête…c’est son ex.

Oui, l’une de ses ex petites amies. Sauf que celle-là était particulière à ses yeux. Il avait vraiment cru qu’il avait trouvé la femme de sa vie. Lauren avait toutes ces qualités que Andrew cherchait désespérément chez chacune de ses conquêtes : elle était jolie, discrète, surprenante, et spectaculaire au lit. Que demander de plus ? Premièrement elle avait maintenant ce méchant désavantage d’être morte. Deuxièmement, mademoiselle le trouvait trop superficiel, égocentrique, et d’autres termes qu’il n’avait pas écouté. Ah oui, un raté pervers…c’est ce qu’elle avait dit. Il avait rétorqué qu’il ne voyait pas en quoi il était un raté.

Elle n’avait pas répondu.

Et à côté d’elle dans ce grand restaurant que Andrew lui avait fait découvrir à leur premier rendez vous : Dave.

David était l’homme pour lequel Lauren l’avait quitté. Quand Andrew l’avait appris, il s’attentait à ce que le Dave en question soit un jeune surfeur, blond et musculeux. Certainement pas à un sac à merde toujours affaissé sur l’avant qui regardait au travers d’épaisses lunettes qui faisait directement concurrence au satellite Hubble. Il l’avait d’ailleurs dit à Lauren pendant l’une de leur dernière engueulade. Elle s’était enflammée en clamant que c’était justement ça le problème d’Andrew, il ne voyait que l’aspect extérieur. Que Dave, lui au moins faisait attention à elle, à ce qu’elle ressentait en tant que femme. Dave c’était l’intériorité. Intériorité qu’une balle de calibre 5,56 millimètres OTAN avait exposé au grand jour.

N’avait-il pas souhaité la mort de Lauren des milliers de fois ? N’avait-il pas maudit ce sale con de David au moins autant de fois ?

Aujourd’hui ils étaient tous les deux morts. Cela ressemblait presque à la meilleure soirée de son existence. Il se voyait déjà dans un bain bien chaud, une cigarette à la main, un verre de vin rouge dans l’autre, trinquant à la mort de trois des personnes qui avaient le plus pourri son existence.

Soudain un doute vint l’assaillir.

Pour l’instant, il connaissait trois des cinq victimes. Niveau coïncidence c’était quand même le genre qui vous fait vérifier un ou deux trucs.

Il se retourna et regarda les médecins légistes qui emmenaient le cadavre de la première table dans un sac de plastique noir. Il slaloma entre les tables sans perdre de vue le corps de la table une.

« -Attendez, lança-t-il aux deux hommes de la morgue. Ouvrez le sac. »

L’un des hommes bougonna des mots que Andrew n’entendit pas avant d’ouvrir le sac mortuaire. L’homme à l’intérieur devait avoir plus ou moins son âge. Sauf que lui resterait dans la trentaine pour l’éternité. L’officier de police scruta le visage du mort qui paraissait presque serein avec les yeux fermés et sa bouche bleuie figée légèrement vers l’avant. L’idée de ces princesses de conte attendant un baiser de son prince charmant lui traversa l’esprit. Un haut le cœur le surprit alors qu’il s’imaginait embrasser ces lèvres froides.

Andrew Shepard ne reconnaissait pas ce visage. Il ne lui était absolument pas familier. Il soupira sans savoir vraiment si c’était de déception ou de soulagement. L’idée qu’un criminel se soit mis à tirer sur toutes les personnes qui lui avaient fait du mal au long de son existence était inquiétante, mais tellement plaisante.

« -Comment s’appelait-il ? », demanda Andrew sans savoir si cela l’intéressait vraiment.

L’un des légistes sortit un portefeuille de cuir pour regarder la carte d’identité.

« -John Begans », déchiffra-t-il.

« -John Begans », répéta Andrew sans savoir pourquoi ce nom lui semblait si familier.

Puis soudain la révélation. John « Big Bones » Begans.

Vous savez, dans chacune des écoles de premier cycle de la planète, il semblerait qu’il y ait au moins un gosse plus gros que la normale. Le genre de gamin dont tous les autres se moquent sans retenue. Et il y a apparemment aussi tout le temps un enfant qui fait régner sa loi sur la cour de récréation, le genre que l’on n’a pas envie de trouver sur son chemin.

John Begans avait été ces deux là en même temps. Sauf que les moqueries qui avaient circulé sur lui au début avaient été vite remplacées par le silence de la peur. Celui que l’on avait surnommé Big Bones s’était attardé pendant plusieurs semaines sur le cas de Andrew Shepard.

Il l’avait délesté de quelques affaires et d’un peu de dignité. Vous savez quelle proportion peut prendre un vol de billes pour un gamin qui n’a pas dix ans.

Mais le fait est que John Begans et Andrew Shepard s’était également retrouvé au collège. C’était de l’argent qu’il lui avait soutiré cette fois là. Les billes avaient apparemment perdues toute leur valeur avec le crash boursier de l’adolescence.

Andrew était revenu plusieurs fois chez lui avec des bleus sur le corps et le visage. « Il était tombé ». Du moins ça serait la version officielle.

Et « Il était tombé » souvent pendant une période qui avait paru interminable au jeune garçon.

Il avait été cherché le pistolet de son père qu’il avait fourré dans sa poche avant de partir pour le collège. Il aurait aimé avoir le courage de sortir l’arme et de la pointer vers son visage. Mais le fait est que John Begans était absent ce jour là. Il supposa que même ce genre de pourriture devait tomber malade parfois. Et il n’eut plus jamais le courage de reprendre avec lui le pistolet.

Il supporta encore quelques fois les mains de ce gros porc qui fouillaient dans ses poches pour trouver ce qui pourrait avoir de la valeur pour lui, puis il sembla que Big Bones s’intéressa à quelqu’un d’autre.

Andrew Shepard eut le désagréable sentiment que tout cela allait lui retomber sur le dos. Après tout quatre personnes étaient mortes, et le seul lien entre elles était le fait qu’un officier de police avait un motif suffisant pour tuer chacun d’entre eux.

Et puis même si de nombreux témoins pouvaient attester que Andrew n’était pas le meurtrier de tout ces gens, il était de notoriété publique qu’il trempait dans assez d’affaires pour avoir des contacts avec autant de tueurs à gage que nécessaire.

Son esprit logique lui intima de se calmer. Après tout qui irait faire le rapprochement entre lui, son ex-femme et son nouvel amant, un contrôleur fiscal et John « Big Bones » Begans, un important trafiquant de billes vingt ans plus tôt.

Vu sous cet angle, Andrew trouva cela rassurant.

Mais il en avait maintenant l’intime conviction, quelqu’un ou quelque chose s’était mis à éliminer tous les gens qu’il avait le plus haï dans sa vie.

Encore une fois, l’officier police se demanda s’il devait ressentir de la culpabilité. Pourtant il avait le sentiment qu’il n’avait pas de temps à perdre avec ce genre de chose. Il y avait des gens pour se sentir coupables de tout. Andrew se souvenait avoir rencontré un gars qui se sentait coupable d’exister. Il disait que si un spermatozoïde était arrivé avant nous à l’ovule, nous n’existerions pas en tant que conscience. Nous serions néant.

Les scientifiques ont évidemment démontré des milliers de fois que ce n’était pas le premier arrivé qui fécondait, mais que l’ovule choisissait le spermatozoïde contenant le patrimoine génétique le plus différent du sien.

Il reste pourtant des gens qui n’ont pas été mis au courant et Andrew Shepard avait rencontré l’un de ceux là. Mais le problème n’était pas là. L’idée était au final la même : dès le départ nous avions été élus sur des dizaines de vies avortées.

Comment ne pas se sentir coupable d’exister au dépend de dizaines d’autres consciences potentielles ?

Andrew Shepard s’était demandé si cette personne avait sciemment décidé de gâcher sa vie en se posant des questions stupides, par solidarité avec tous les spermatozoïdes morts de son éjaculation qui n’avaient pas eu la chance d’exister.

Ce jour là, Andrew lui avait rétorqué que l’on était peut-être justement les spermatozoïdes dérivants dans le système reproducteur d’une mère qui ne serait jamais la notre, à regarder l’ovule déjà fécondé en s’imaginant la vie qu’on aurait pu avoir si on était arrivé plus tôt.

A ce moment, l’interlocuteur avait ouvert de grands yeux horrifiés avant de ne plus jamais lui adresser la parole.

Andrew Shepard n’avait jamais douté de son existence et il avait prononcé cette phrase juste pour se défaire de ce gars et de sa discussion. Pourtant du soir, seul allongé sur son lit, il s’était dit que même si nous n’étions que des spermatozoïdes dont il n’y avait que l’imagination qui serait fertile, il ne fallait pas se gâcher la vie avec ça.

Etre ou ne pas être. Au final ça n’a pas vraiment d’importance. Ce qui est important c’est d’avoir l’impression d’aligner le maximum d’instants de bonheur dans sa vie.

Cinq personnes sont mortes, et Andrew passe un bon moment.

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Par : Opera
7 commentaires
7 commentaires
  1. Ah comme ce serait bien si justement de jeunes auteurs participaient à la transformation du monde de l’édition en se lançant dans le livre numérique, pas celui qui accorde 10% de remise par rapport au prix papier mais la vente de livres numériques sans intermédiaire donc à un tarif bas, cinq euros me semblant le bon prix
    Stéphane, aussi auteur

  2. Pas évident, c’est déjà je trouve un peu lourd de lire sur un ordi alors là devoir aller de blog en blog pour finir l’histoire sans en plus savoir où elle commence…
    Par contre je rejoins cinqeuros, il y a un avenir à diffuser une oeuvre en direct pour les liseuses ou même sous forme de PDF avec peut-être un petit système de pas grand chose pour réussir à obliger quand même à payer encore que je suis sûr que si on aime on fini par acheter. J’ai découvert Pierre Bottero par le biais d’ebook (façon mp3 illegaux) et bien maintenant j’ai l’ensemble de ses écrits sur mes étagères. Voir aussi le jeu minecraft qui fait un ultra carton partout chez les jeunes et qui est l’oeuvre d’un seul gars dans son coin et qui dit bien qu’il a volontairement passé outre les DRM et autres solutions anti-pirate pour ne pas perdre de temps il vendrait maintenant une licence toute les 3 secondes à 15 euros.

  3. Je suis Valentin depuis quelques mois (années?) maintenant et c’est quelqu’un qui a un joli style (élément plutôt subjectif je vous l’accorde).

    Très bonne démarche que de partager ce genre d’initiative favorisant la créativité.

    J’aime beaucoup l’associant de la sonorité avec le texte. Assez inédit pour du texte.

  4. Merci de m’avoir fait découvrir cet auteur, je me suis du coup inscrite sur sa page FB pour être sûre de ne pas rater la suite.

    et c’est vrai que l’idée de 5euros est pas mal du tout
    ca me fait penser, dans un autre genre, à l’expérimentation mp3 “chroniques des ombres” en 2008…

  5. @cinqeuros : je serais personnellement ravi de participer à la transformation du monde de l’édition avec un livre à 5€… mais ce n’est pas simple.
    Cela voudrait dire ne pas passer par une maison d’édition, donc devoir s’occuper de tout… et c’est peut être aussi le meilleur moyen de passer inaperçu aux yeux du public.

    @fran6t : réflexion très juste, tu peux évidemment t’abonner pour être sûr de ne rien manquer… mais il y a toujours la possibilité de perdre des personnes en route. Il va falloir que je pense à cette idée de rassembler le tout dans un ebook (à 5€ :p)

    @Paul Henri : Merci beaucoup du compliment et du soutien 🙂 Ravi que l’initiative te plaise 🙂

    @Elodie : Ravi de savoir que ce début de roman vous a plu 🙂

  6. Vaelentin :
    Il est évident que c’est difficile le monde de l’édition et que le but est d’être lu et de gagner sa vie.
    Obtenir 5 euros sur un livre (ou 4 euros après les frais, TVA encore à 19.6) , c’est plus qu’obtenir des droits d’auteurs à 10% sur un livre vendu 20 euros.
    Quant à la médiatisation de l’auteur, il ne faut effectivement pas l’oublier : entre Gallimard et être travailleur indépendant, les médias regardent encore plus Gallimard mais ça pourrait changer…

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