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Et pendant ce temps, des startups françaises prennent des marchés au Japon

L’innovation, la technologie et l’entrepreneuriat ne sont pas l’apanage exclusif des startups œuvrant dans les réseaux sociaux à destination d’un public jeune. Focus sur la “Silver Economy” et l’exemple japonais.


Au loin le Mont Fuji (mais on ne le voit pas très bien sur la photo)

La semaine dernière, j’accompagnais à l’invitation de BPI France, banque publique d’investissement en soutien aux PME, et Ubifrance (agence française pour le développement international des entreprises) une délégation d’entreprises françaises à Tokyo, Japon.

Objet de ce déplacement : aider les entreprises françaises à trouver des débouchés, des partenariats, voire des financements auprès d’acteurs économiques japonais spécialisés sur le secteur de la Silver Economy.

Silver Économie, un marché… jeune à fort potentiel de croissance

Bien sûr, la thématique est peut-être un peu moins sexy a priori que la dernière app sociale en provenance de la Silicon Valley, mais elle est pourtant porteuse de tout ce qui habituellement nous intéresse : de la techno, de l’innovation, des startups, des investisseurs et des inventions parfois étonnantes.

La Silver Economy, kezako ? Pour ceux qui ne seraient pas très familiers avec ce terme argenté, celui-ci pourrait être traduit par “économie du vieillissement” ou encore “marché des seniors” pour faire plus simple. Autant dire que cela nous concerne tous, directement, indirectement, et surtout fatalement. Ce n’est qu’une question de temps. La filière et ses potentialités en termes de développement économique, technologique et industriel n’est d’ailleurs pas passée inaperçue aux yeux de nos gouvernants puisqu’un Contrat de filière a été signé entre le gouvernement et les acteurs privés du secteur le 12 décembre 2013, avec l’ambition de faire de la France un “leader mondial” sur ce vaste marché. Notez au passage que chaque initiative gouvernementale en matière d’économie – quelque soit la couleur politique dudit gouvernement – a toujours pour ambition de faire de ses acteurs des leaders mondiaux. Mais c’est mon mon mauvais esprit, en politique on appelle ça l’ambition, et généralement l’ambition n’est pas très copine avec la modestie 🙂

La Silver Économie prend en compte les nouveaux besoins liés à l’avancée en âge avec une préoccupation majeure : que les personnes âgées puissent rester autonomes le plus longtemps possible, à domicile, et dans les meilleures conditions de vie. Elle regroupe toutes les entreprises, pôles de compétitivité, économistes, chercheurs, assurances, agissant pour et avec les personnes âgées, à l’exclusion des questions de retraite, d’épargne ou de transmission des savoirs.

Concernant ce secteur, selon les données compilées par la BPI, on estime que les besoins et services liés aux personnes âgées devraient doubler d’ici à vingt ans, et qu’ils pourraient créer 250.000 emplois au cours de la prochaine décennie, notamment dans des outils technologiques avancés comme les détecteurs de chute (le fléau quotidien des personnes âgées, y compris celles en parfaite santé et autonomie), télésurveillance, capteurs, boîtes à pilules intelligentes et connectées, etc.


Le quartier branché de Shibuya, Tokyo

Même si la Silver Économie concerne toutes les entreprises, car le vieillissement est une donnée à intégrer dans tous les secteurs (exemple : paramètres d’accessibilité déjà présents dans nos smartphones), on recense aujourd’hui en France environ 240 sociétés spécialisées employant 43.000 salariés, ce qui représente un chiffre d’affaire global de 56 milliards d’Euros. Deux exemples que le geeks connaissent bien : Xamance, spécialisé dans la gestion documentaire avec Xambox, développe avec Sagemcom un scanner simplifié et intuitif à destination des seniors, doté d’un seul bouton et ne nécessitant pas d’ordinateur, qui permet le traitement du courrier avec l’appui d’un aidant à distance. Autre startup connue : Withings, qui conçoit des applications et produits intelligents et connectés pour la santé et le bien-être. On voit à l’aune de ces deux seuls exemples que les sociétés intervenant dans le champ de la Silver Économie ne sont pas nécessairement des spécialistes exclusifs du secteur, mais qu’une partie de leurs produits et services peut adresser ce marché.

De fait, toute entreprise œuvrant dans le bien-être, la santé, l’accessibilité et l’aide au maintien à domicile peut s’inscrire dans le mouvement et y trouver de nouveaux débouchés. Le cas des téléphones mobiles “simplifiés” dédiés aux personnes âgées est à ce sujet intéressant : alors qu’il fallait auparavant concevoir et déployer des modèles spécifiques (peu de boutons, touches et polices de caractères agrandies, accès rapide et direct aux fonctions essentielles, écrans élargis…) aujourd’hui n’importe-quel smartphone peut être paramétré et personnalisé pour remplir les mêmes fonctions et satisfaire les mêmes contraintes et séduire les “smart-seniors”. L’iPhone, de par sa simplicité et son côté très intuitif, a permis à de nombreuses personnes âgées d’accéder à une technologie de communication jusque-là réservée aux plus jeunes et aux geeks. Mais on pourrait peut-être même pousser la réflexion plus loin : pourquoi ne pas imaginer une application qui permette d’un clic sur un bouton de complètement “re-designer” l’interface d’un smartphone afin de l’adapter à une tranche d’âge. Vous cliquez sur 75 et hop tous les paramètres s’ajustent instantanément à une personne “moyenne” de 75 ans. Idem en cliquant sur 5 si vos marmots vous tannent pour utiliser votre précieux smartphone.


A Tokyo aussi on aime bien les rooftops

Le Japon, champion du monde du secteur

Le Japon est le pays développé dans lequel la part des seniors de plus de 65 ans au sein de la population est la plus importante (25,4% soit 32,3 millions d’individus “Active Seniors”[1] à fort pouvoir d’achat contre 18% en France). Au Japon on vit vieux, en bonne santé et avec des revenus généralement élevés. Ajoutez à cela le fait que le Pays du Soleil Levant est par ailleurs en pointe dans l’innovation (notamment dans la robotique) et vous avez toutes les bonnes conditions réunies pour que ce pays soit un grand leader dans le secteur de l’économie des seniors, avec une perspective de marché de 692 milliards d’euros en 2015.

Il s’agit donc d’une destination incontournable pour tout acteur de ce marché, à plusieurs titres : trouver des relais de croissance et des clients sur place, tisser des partenariats, lever des fonds, mais aussi tout simplement s’inspirer des idées, du savoir-faire et de l’expérience des entreprises japonaise du secteur.

Un savoir-faire et une expérience qui s’expriment principalement dans les technologies et services suivants :

  • la domotique “augmentée” des solutions de sécurité : téléassistance, détecteurs de chute, vidéosurveillance…
  • les objets connectés : suivi à distance, prévention, observance de la prise de médicaments…
  • les technologies de santé, de bien-être et de divertissement à destination des seniors : smartphones, ordinateurs simplifiés, tablettes, jeux vidéo, serious games, logiciels d’entraînement cérébral et de mémoire

Autant dire qu’avec le programme que leur avaient concocté BPI France et UBIFRANCE, nos treize entrepreneurs sélectionnés pour ce voyage d’étude et d’affaires avaient du pain sur la planche, tout au long de quatre journées alternant entrainement au pitch puis présentation de leur entreprise en 6 minutes chrono devant un parterre d’entrepreneurs, investisseurs et journalistes nippons, rendez-vous sur place avec de potentiels partenaires et distributeurs, le tout entrecoupé de dégustation de sushi et saké, sans oublier l’incontournable soirée chez Monsieur l’Ambassadeur, ou sont logés les bureaux d’UBIFRANCE Japon. On notera également que notre route nous a conduits chez Orange Labs Tokyo, et qu’elle a croisé celle du Ministre de l’économie Emmanuel Macron, qui était au même moment en tournée en Corée et eu Japon, et qui nous a gratifiés d’un petit point presse à l’ambassade avant de sauter dans son vol de retour à Paris. Même si la discussion était très technique (au sens bancaire et financier du terme, non nous n’avons pas parlé de ma dernière smartwatch) j’ai retenu quelques éléments qui faisaient un peu écho avec la thématique du voyage et les sujets qui nous intéressent généralement :

  • Le Japon est l’un des partenaires-clés pour la France
  • Fonds propres technologies et PME : le ministre a incité les investisseurs à venir placer des fonds dans les startups françaises, citant l’exemple du rachat de Price Minister par Rakuten (un exemple peut-être un peu plus parlant que le pitoyable fiasco Dailymotion / Yahoo! fièrement porté par son prédécesseur…)
  • La coopération Franco japonaise fait travailler 130000 personnes
  • Il y a 130 VIE au Japon (Volontariat International en Entreprise).

Entreprises françaises : objectif Japon

Parmi les treize entreprises embarquées dans cette petite aventure nippone et sélectionnées selon leur potentiel à se développer fortement ici, toutes n’étaient pas des entreprises de haute technologie, et toutes n’étaient pas des startups. J’ai retenu cependant un panel de sociétés qui présentent des produits ou solutions technologiques réellement dédiées aux seniors, avec de l’innovation, du cloud, de la data, de l’intelligence et de la connectivité.

Mensia Technologies

Fondée en 2012, Mensia est l’une des sociétés les plus jeunes présentes dans ce road-show, ce qui ne l’empêche pas d’avoir déjà une présence au Japon et en Corée. Mensia développe une technologie déployées sur internet qui analyse en temps réel ce qui se passe dans le cerveau. Son offre silver eco, en partenariat en place avec une société coréenne : permettre à la personne agée de travailler sa santé neurologiuqe à la maison de façon autonome avec son médecin et sa famille. Grâce à son business model, la startup a généré des revenus dès le premier mois via vente de licences et services, compte déjà une référence aux US et vient de signer son premier contrat avec un client japonais, la société Omron, basée à Kyoto.

RB3D

Une société spécialisée dans la “cobotique”, autrement dit la robotique collaborative. RB3D est une société qui conçoit une gamme très originale d’exosquelettes qui offrent une assistance à la mobilité et au geste afin de résoudre le problème de la pénibilité, d’amplifier la force, encaisser les vibrations, ou encore éviter les troubles musculo-squelettiques. Pour le moment les systèmes proposés ne sont pas dotés de capteurs pour détecter la force des utilisateurs, ce qui n’a pas empêché ma société de travailler avec l’armée pour aider les fantassins à porter leur sac à dos. Si RB3D a ses clients principalement dans le domaine industriel, sa présence dans ce voyage était évidemment motivée par le fait de trouver des débouchés logiques auprès d’une clientèle de personnes âgées. Et oui il faudra vous y faire : bientôt votre mamie ressemblera à Robocop. Ou à Terminator. Et il faudra être gentil avec elle sinon elle vous pulvérisera façon puzzle.

Cityzen Corp

C’était un peu le champion de la délégation. (et je ne dis pas cela parce-qu’il est lyonnais) : outre l’aspect particulièrement innovant de son offre, Citizen Corp a signé pendant notre séjour un partenariat avec l’équipementier sportif japonais ASICS, et a été également récompensé deux années de suite au CES de Las Vegas. Et à en croire le sourire de son boss c’est un joli contrat. Cityzen Corp conçoit et fabrique des tissus connectés qui intègrent toutes sortes de capteurs qui transforment le textile en une plateforme sur laquelle est bâti un ensemble de services, sur la base du produit, de big data et d’une application. Applicable dans le contexte de la Silver eco, le dispositif permet de faire de la prévention de maladie, de suivre un patient à distance.

Robotik Technology

Une société qui n’est pas vraiment une startup, ni dans sa taille ni dans son ancienneté, ce qui ne signifie pas qu’elle n’ait su innover, notamment avec son e-Box, une drôle de boite ronde qui est en fait un distributeur intelligent de médicaments, mais aussi un hub connecté destiné à de nombreux autres usages pour les personnes à domicile. Parmi ses multiples fonctionnalités, l’engin envoie des infos en temps réel au pharmacien ou au médecin sur la prise des médicaments et permet de mieux gérer l’observance des posologies pour une personne âgée qui peut parfois être “distraite”. La e-Box peut en outre être connectée à d’autres dispositifs comme un détecteur de fumée, un glucomètre, un capteur de température, une balance, ou encore un détecteur d’activité, permettant un monitoring avancé d’une personne à domicile.

Vigilio

Le crédo de Vigilio : le home care ou maintien à domicile, et “sauver des vies”. Selon Jean-Eric Lundy, CEO de Vigilio, en France, plus de 11000 personnes âgées meurent en France chaque année des conséquences directes d’une chute. Vigilio a donc développé VigiFall, un petit patch triangulaire de la taille d’une montre, bourré de technologie (gyromètre, accéléromètre, puce GSM…) que la personne âgée portera sur elle en permanence. En cas de chute le détecteur s’active, identifie qu’il s’agit bien d’une chute (avec un taux d’erreur très faible de moins de 2% selon son créateur) et envoie un signal à un ensemble de correspondants paramétrés : famille, urgences, ou Europe Assistance avec lequel Vigilio a conclu un partenariat.

Senioradom

Avec un usage similaire à celui de Vigilio, mais sans nécessiter de patch personnel, Senioradom développe des technologies de capteurs intelligents et apprenants inspirés de ceux qui font fonctionner les alarmes dernière génération pour identifier les habitudes de vie d’une personne à domicile et détecter les comportements anormaux. Ainsi il sera possible d’identifier une immobilisation inhabituelle (chute, malaise), un déplacement incohérent ou tout autre signal indiquant peut-être une situation de détresse ou d’urgence.

Concernant ces deux dernières sociétés et leur dispositif, n’oublions pas qu’outre la technologie et les perspectives de développement économique, se pose une question d’ordre foncièrement humain : celle de la sécurité des personnes âgées vivant seules. La question de la chute est centrale dans ce contexte, quand on sait que même chez un senior en pleine forme et possession de ses moyens, une chute peut avoir des conséquences directes ou indirectes (moyen terme) dramatiques, y compris si les conséquences physiques n’engagent pas le pronostic vital : une perte d’autonomie qui peut être le déclencheur d’un rapide déclin et de réactions en chaine, processus dans lesquels le mental, sérieusement affecté, ne permet plus de reprendre le dessus.

Geoloc Software

Une bonne idée fondée sur la géolocalisation, qui part du constat que la localisation fournie par nos GPS n’est pas encore assez précise. Si cela peut ne pas poser trop de problèmes en voiture ou en navette spatiale, cela peut devenir délicat pour un piéton, et a fortiori une personne à mobilité réduite, qui peut se retrouver coincée sur un trottoir pour cause de tranchée intempestive et non signalée, par exemple. Geoloc entend résoudre la question en proposant de la “géolocalisation augmentée”, à savoir des parcours piétons prédéfinis qui permettront à une personne en fauteuil de savoir à l’avance précisément quel itinéraire emprunter pour éviter de se retrouver bloqué. Le recueil de données se fera entre autres par crowdsourcing, et plus tard à l’aide d’un petit véhicule électrique.

Citons également les autres entreprises présentes : Enovacom, Dupont Medical, Burger, Doro, Pharmagest, et enfin Datacet.

La fête des startups au Japon ne se terminait d’ailleurs pas après notre séjour puisque cette semaine, c’est au tour de la French Tech de faire son show à Tokyo, avec huit jeunes pousses : B-COM, Co-Decision Technology, Dotscreen, Intersec, OP3FT, Ssality, Spikenet Technology et Video Stitch.

La Silver Économie sur internet

Bien sûr, internet n’est pas en reste, et si le sujet vous intéresse, voici quelques sites en français :

Un nouvel eldorado, la Silver Économie ? Peut-être. Le potentiel de ce marché est grand, et les débouchés certainement importants pour qui voudra employer son énergie et sa créativité à déployer autre chose que la prochaine app sociale à la mode en espérant devenir le nouveau Zuckerberg. Car il y a encore certainement des places à prendre et des idées à trouver sur un terrain encore assez peu occupé. Mais pour faire des affaires avec le Japon, il faudra cependant s’armer de patience et respecter les codes en vigueur sur l’Archipel. Comme nous l’indiquait un entrepreneur français ayant développé avec succès plusieurs affaires sur place : “Les japonais sont des diesel en affaires : longs à démarrer et à monter en température, mais une fois lancés on ne les arrête plus”.

Reste à bien charger vos batteries, vérifier votre démarreur et faire le plein avant le grand saut.

[1] Les Active Seniors ou Smart Seniors sont des personnes âgées sachant utiliser les smartphones, tablettes et internet de façon courante notamment pour leurs achats et leurs loisirs. Ils se situent principalement dans la tranche d’âge 65-75 ans et seront selon toute évidence de plus en plus nombreux. On estime leur nombre à 23,2% de la population des 65-75 ans, une proportion qui a doublé depuis 2012, à tel point que ce segment de population est devenu une cible privilégiée des entreprises du secteur high-tech au Japon.

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