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Modèle AirBnB.com et régime juridique des hôteliers amateurs : le ver dans le fruit viendra-t-il de la « Grosse Pomme » ?

La récente condamnation à New York d’un particulier qui louait son appartement via le site Internet Airbnb.com relance le débat sur la légalité de cette pratique. Focus et explications sur le cadre juridique français.

Article co-écrit par Maître Gérald Sadde, Avocat intervenant en droit internet et informatique, et Charlie Magri, juriste.

Les bons plans d’hébergement dénichés sur internet auprès de particuliers connaissent un essor sans précédent, comme en témoignent le succès du site AirBnB.  Avec plus de trois cent salariés et plus de cinq millions de nuitées réservées via ce site, AirBnB a démocratisé la location d’appartements en ligne. Toutefois une décision récente fait planer le doute sur la légalité du modèle AirBnB.

Le grain de sable juridique dans le modèle AirBnB ?

Mardi 21 mai 2013, un tribunal de New York a condamné un particulier qui louait son appartement sur la plate-forme de location à 2.400 dollars d’amende pour avoir violé la réglementation hôtelière de la ville.

Lui-même locataire, Nigel Warren a en fait sous loué son appartement durant trois nuits à une touriste Russe, moyennant 300 dollars. Or, selon la « New York Hotel law » de 2011, des particuliers ne peuvent tirer de revenus d’une location de moins de vingt-neuf jours consécutifs, à moins de se déclarer hôteliers et donc de payer les taxes correspondantes. On pourra voir ici la volonté de ne pas faire de concurrence déloyale aux professionnels de l’hôtellerie.

Malgré la présence de l’avocat de la compagnie AirBnB pour défendre M. Warren, les autorités new-yorkaises ont estimé que la location temporaire à des inconnus relevait de la concurrence aux hôtels et Nigel Warren a été condamné à 2 400 dollars d’amende. Cette décision acte donc de l’illégalité de l’utilisation d’AirBnB à New York. Il convient toutefois de tempérer cette décision en rappelant que cette loi ne s’applique que si un premier délit a été commis ; en l’espèce un inspecteur de la ville se trouvait dans l’immeuble pour d’autres raisons quand il a eu affaire à la touriste qui avait loué l’appartement.

Si cette affaire ne concerne que l’Etat de New-York, elle peut potentiellement ouvrir des brèches dans tous les Etats ou pays dans lesquels la législation n’est pas claire. A ce titre,  le site AirBnB dégage sa responsabilité en précisant, au titre de ces conditions générales, qu’en « acceptant et en mettant en ligne une annonce, vous vous engagez à respecter vos lois et réglementations locales » ; a aucun moment, il n’est donc demandé à l’hébergeur, s’il a bien le droit de louer son logement.

Peut-on louer son logement en France pour des courtes durées ? De quelle manière ?

Pour savoir, si oui ou non la location de courte durée est légale, il convient de différencier entre propriétaires, qui effectuent des locations dites saisonnières, et locataires, où on parle de sous-location.

Si vous êtes locataire, mettre à la disposition, partiellement ou entièrement, votre logement à une personne extérieure au contrat contre le versement d’une contrepartie financière s’appelle communément de la sous-location. Il faut alors opérer une distinction entre location meublée et location vide. Or il convient d’admettre que la sous-location d’un logement vide à des touristes n’a que peu d’intérêt sauf à vouloir lancer le concept du Camping Indoor

En parallèle, la location meublée ne dispose que d’un faible cadre juridique., On devra alors vraisemblablement se réfèrer au droit commun. L’Article 1717 du Code civil dispose que « le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interditeLe locataire d’un logement meublé peut ainsi sous-louer son logement dès lors qu’aucune clause de son bail ne l’interdit.

Pour les propriétaires désireux de louer leur appartement durant leur absence, on parle de location saisonnière. Cette dernière est caractérisée par une durée maximale, et non renouvelable, de 90 jours consécutifs (loi 70-9 du 2 janvier 1970, art. 1-1), soit le temps d’une saison. Là encore la location saisonnière n’est soumise à aucune réglementation. C’est le contrat qui tient lieu de loi entre les parties. Seule obligation : le propriétaire doit remettre un descriptif précis des lieux au locataire, avant la signature de ce contrat.

Le modèle AirBnB semblerait donc légal en France. Cependant une ombre vient obscurcir cette conclusion. En effet, suite à l’augmentation constante du nombre de locations saisonnières, qui ont désormais pris le pas sur la location classique, le parc locatif à titre d’habitation principale s’est restreint. Des milliers de logement sont dorénavant dévolus aux seuls touristes et appauvrissent le parc de logements disponibles à la location « normale ». Ce phénomène participerait par ailleurs à la flambée des prix de la location (les services de la Ville de Paris estiment qu’il y aurait 20 000 à 40 000 appartements en location touristique).

Le touriste est donc désiré mais dans les hôtels. Face à ce constat, la mairie de Paris et de nombreuses autres collectivités, ont décidé de faire valoir une ancienne loi, tombée en désuétude et souvent ignorée par les bailleurs : l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

Cet article encadre la location saisonnière, spécialement dans les villes de plus de 200 000 habitants et dans les départements franciliens des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis. « Dans ces communes, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est, dans les conditions fixées par l’article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable

La marie de Paris considère que, faire de la location meublée, non affectée à l’habitation principale, fait passer le bien de l’usage d’habitation, à un usage dit professionnel impliquant ainsi un « changement d’usage ». Dans ces zones, pour que la location soit légale, une demande d’autorisation doit donc être soumise à la mairie (ainsi qu’au maire de l’arrondissement concerné, le cas échéant).

Les propriétaires qui ne régulariseraient pas leur situation s’exposent désormais à des sanctions. Un jugement du 5 avril 2012 du TGI de Paris en est l’illustration : un bailleur a été condamné à 15000 euros d’amende pour avoir loué à des touristes quatre appartements dédiés à l’habitation.

Il faut cependant atténuer la portée de cette décision puisqu’à l’heure actuelle, ce sont surtout les professionnels de la location saisonnière qui sont visés. A ce titre, la mairie de Paris a annoncé qu’elle ne poursuivrait pas les propriétaires qui louent leur résidence principale quelques semaines par an puisque ceux-ci ne soustraient aucunement le bien au parc locatif.

Attention toutefois, si jusqu’ici la tolérance est de mise, il faut rester prudent. Un durcissement est tout à fait imaginable, durcissement qui aurait pour objectif de mettre fin à un phénomène qui a pris une ampleur considérable dans la capitale, et qui aurait pour dommage collatéral de freiner la nouvelle « économie de partage » du modèle AirBnB…

 

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Par : Opera
11 commentaires
11 commentaires
  1. Merci pour l’article super intéressant ! Le modèle Airbnb permet aussi dans la capitale-musée de se loger convenablement (sanitairement parlant aussi) pour des petits budgets avec certains clapiers qu’on appelle hôtel…

  2. @littlecelt : Oui mais à côté de ça, et l’article pointe le problème, ce genre de pratiques diminue le parc de logements louables. C’est bien de penser aux touristes mais il faut quand même donner priorité aux locaux.

  3. je suis super rassuré! je vais pouvoir sous loué mon meublé dans le quartier de la romière au chambon-Feugerolles (allez les verts!) sans avoir de soucis juridiques! maintenant faut que je trouve l’argumentaire commercial pour louer ça!!!

    blague à part, merci pour cet article qui met en situation le modèle éco de AirbnB à la sauce franco française: pour ma part je pense que le cas New Yorkais n’étais qu’un épiphénomène et que le business model est top et totalement adaptable à un nouveau business model touristique français (sauf cas atypique), n’en déplaise à certains (spécial dédicace à M. Hannedouche), moi j’ai validé et utilisé Airbnb en France et Espagne et j’adore!

    maintenant je vais me couché! (MP à Me Sadde: C’est quand qu’on va ou?)

  4. Merci pour cet article très intéressant. Il est vrai que la les hôteliers commencent à s’inquiéter de l’ampleur que prend airbnb. Je développe moi même des solutions web de gestion et de commercialisation pour les hôteliers et le e-tourisme (qui est un secteur passionnant et qui à besoin de nouveaux business modele). Pour ma part je suis favorable aux concepts comme airbnb qui entraînent de nouveaux voyageurs, et plus de voyageurs = plus de fréquentation pour les hôteliers.

  5. @Pierre: clairement, la location saisonnière est une plaie pour la location classique.
    Il en est de même pour les résidences secondaires, car dans mon coin dans le sud est: pleins de logements sont inoccupés, loués quelques semaines en été ou occupés comme résidence secondaire, et il devient difficile de louer et même d’acheter pour les locaux.

  6. Quand les propriétaires seront assurés de toucher leurs loyers (il avait un temps été question de créer un fonds pour suppléer le locataire défaillant) ils n’hésiteront plus à signer un bail au lieu de faire de la location saisonnière… Pour l’instant les commissions de surendettement les contraignent à annuler la dette ils n’ont plus qu’à loger gratuitement des locataires indélicats en attendant qu’il veuillent bien partir…
    Pendant ce temps-là ils ont intérêt a avoir qq économies.

  7. D’où l’émergence de spécialiste de la sous-location. Le flou est entretenu sur les sites de locations de vacances, ils s’arrangent pour attirer les sous-locations mais ne sont pas calibrés pour ce type de demandes…

    Je repréciserai aussi que pour qu’une sous-location soit légale, il faut la faire avec l’accord de son propriétaire et que le montant ne dépasse pas le loyer. Attention, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de clause que c’est permis. Il faut absolument cet accord.
    Idem, lorsque vous rédigez un contrat de location ça n’a rien à voir avec un contrat de sous-location.

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