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Faire émerger des alternatives à Facebook, Twitter & co ? le MozFest fait réfléchir sur la décentralisation d’internet

Le débrief du MozFest dans une courte vidéo et un focus sur les dangers de la centralisation du web.

Mozilla m’a invitée à participer au MozFest à Londres, un événement qui se revendique comme le grand festival de l’« Open Web », regroupant des conférences, des ateliers, des tables rondes, des démonstrations, des soirées… Voici mon débrief en images (avec la traduction si vous choisissez d’afficher les sous-titres sur Youtube) et en texte.

Dans le mix de thématiques diverses et variées, j’ai surtout retenu le sujet récurrent de la décentralisation du web, avec deux interventions, à commencer par celle de Zeynep Tufekci qui s’intéresse aux effets de la technologie sur la politique et la société. Elle enseigne notamment à Harvard et elle écrit dans le New York Times. Elle s’attache à montrer comment Facebook, Twitter ou encore Youtube se sont insérés dans la sphère publique en jouant un rôle important dans la vie nombreux utilisateurs, tout en ayant pour objectif de vendre de la publicité.

Les dangers de la centralisation du web en 3 exemples

Les trois exemples concernent Facebook, la plus grande plateforme sociale, qui s’approche des 2 milliards d’utilisateurs.

Facebook VS Twitter sur l’affaire Ferguson

Le premier porte sur les grandes manifestations de Ferguson en 2014, suite au meurtre d’un jeune homme noir, abattu par un policier blanc dans cette ville des Etats-Unis. Twitter a très tôt joué un rôle significatif pour, d’une part, mobiliser les personnes qui sont descendues dans les rues pour manifester, et d’autre part pour relayer largement ces événements. Zeynep Tufekci voit la colère monter sur son fil Twitter, rempli de messages sur Ferguson. Elle se rend alors sur Facebook, où, dit-elle, ses contacts sont assez similaires à ceux de Twitter…et là rien sur Ferguson ! Elle se dit d’abord que ses amis sur Facebook ne se sentent pas concernés par cette actualité, puis elle retourne sur Twitter et constate alors que le sujet continue de monopoliser les conversations. Retour sur Facebook : rien… jusqu’à ce qu’elle ait l’idée de basculer son fil d’actualité non pas sur les posts que l’algorithme de Facebook lui propose, mais sur le mode chronologique. C’est ainsi qu’elle constate qu’ils sont nombreux, parmi ses contacts, à s’être exprimés sur l’affaire Ferguson, sans que Facebook ne le lui montre.
Facebook, explique-t-elle, “se remet systématiquement sur le mode de recommandation algorithmique, car il veut contrôler ce fil d’actualités, contrôler ce que vous voyez, votre attention, car cette attention est devenue la ressource clé”.

Avec cet exemple, on se rend compte du rôle que peuvent jouer les réseaux sociaux dans de telles circonstances. Comment expliquer cet écart de traitement entre Facebook et Twitter ? Sur Facebook, les images et les informations sur des sujets comme Ferguson sont moins à même de générer des “j’aime” que d’autres posts. L’algorithme de Facebook ne les favorise donc pas et les fait tomber dans une « spirale algorithmique du silence ». En effet, moins un post suscite de mentions « j’aime » et de commentaires, moins il est montré aux utilisateurs. La réciproque étant vraie, on comprend la prévalence de contenus montrant des bébés, des chats ou des chutes comiques (lire l’article complet de Zeynep à ce sujet – en anglais).

Suite à ce constat, Zeynep Tufekci se met à étudier d’autres phénomènes où la circulation d’informations sur les réseaux sociaux a des effets significatifs, parfois tragiques.

La propagation de fausses rumeurs dans un contexte de nettoyage ethnique

Le second exemple de Zeynep, contrairement à Ferguson, porte sur des posts Facebook dont la visibilité n’est pas minorée. Au contraire, il s’agit d’informations qui se sont propagées. Cela se passe en Birmanie, où une minorité religieuse, les Rohingyas, vivent un calvaire : ils sont victimes de persécutions et sont contraints à l’exode (ils sont des dizaines de milliers à vivre dans la misère, dans des camps de réfugiés). On apprend que les tensions sont exacerbées à cause d’horribles histoires fausses colportées à leur encontre, et devenues virales sur Facebook.

Des pubs racistes ?

Le troisième exemple est également édifiant. Lorsque l’on veut faire une publicité sur Facebook, on peut choisir à qui la montrer. Et les critères pour définir l’audience sont extrêmement nombreux et détaillés : âge, localisation, sexe, centres d’intérêt… Aux Etats-Unis, on peut cibler avec des critères d'”affinité ethnique”, pour le plus grand bonheur des racistes, qui peuvent ainsi choisir de ne pas montrer une pub pour une maison en vente ou pour un recrutement à des personnes qui sont d’”affinité noire” ou d’”affinité hispanique”. (cf. un article de Slate.com, en anglais, à ce sujet).

Ceci ne revient pas tout à fait à directement exclure les personnes de couleur mais c’est tout comme. Facebook est censé faire le ménage dans les annonces qui seraient discriminatoires mais il y a 3 problèmes :
– les ratés ne sont pas rares,
– la manière exacte dont Facebook fait ce travail de tri n’est pas transparente,
– l’argument, parfois utilisé, qui consiste à se cacher derrière la prétendue neutralité de ses algorithmes n’est clairement pas recevable.

Comment redonner du pouvoir et de la protection aux utilisateurs d’internet ?

Zeynep Tufekci souligne l’importance d’avoir des alternatives à Facebook et aux autres membres du club des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ces services ont une réelle utilité, c’est indéniable, mais il faut que des alternatives soient encouragées et qu’elles accèdent à des ressources pour se développer. Il est en effet indispensable que les internautes aient le choix. On pense ici à Mozilla Firefox, le navigateur libre et gratuit, distribué par une organisation à but non lucratif qui fait la promotion d’un internet libre, ouvert et sûr.

Pour comprendre les ressorts des géants du web et faire un choix éclairé dans les services utilisés, il faudrait que les utilisateurs d’internet soient mieux informés. C’est pourquoi la thématique de l’éducation est omniprésente au MozFest (dans les talks, les ateliers, les discussions de couloir entre les participants…). Il y a même un espace dédié aux enfants pour leur apprendre à coder de manière amusante, avec une solution libre et la possibilité de partager leurs créations.

Après Zeynep Tufekci, c’est un autre expert qui prend le relais sur scène. Brian Behlendorf pointe d’autres problèmes engendrés par la centralisation et détaille les options technologiques qui vont permettre de bâtir des solutions alternatives.

Et il démarre avec par un texte inspirant en lisant un passage de la Déclaration d’indépendance du cyberspace, publiée en 1996 par J. Perry Barlow à Davos pour défendre un internet autonome et libre. Il tisse ensuite la métaphore d’un internet qui se base sur quelques énormes datacenters installés dans le monde, pour faire comprendre l’ampleur de la centralisation qui le caractérise aujourd’hui, avec des conséquences directes comme :
– la facilitation de la surveillance généralisée
– des problèmes de fiabilité (cf. la récente cyberattaque mondiale)
– des problèmes juridiques fondamentaux, avec les conditions d’utilisations des services, notamment les réseaux sociaux
– des problèmes de distribution des richesses (94% des revenus reviennent à 1% des développeurs d’applications sur l’AppStore)

Un sommet du web décentralisé s’est tenu en juin à San Francisco pour se pencher sur les solutions à apporter à ces problèmes. Il a rassemblé des technologistes qui ont échangé sur les “futures plateformes pour internet“. Certains, comme Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web, y ont affirmé que le “web est déjà décentralisé“. Le problème, dit-il, est la “domination d’un moteur de recherche, d’un gros réseau social ou d’un Twitter pour le micro-blogging. Nous n’avons pas de problème de technologie, nous avons un problème social”. La technologie semble toutefois être la clé pour résoudre ce dernier. Au MozFest, Brian Behlendorf cite quelques exemples, que je vous retranscris avec les url (sans vraiment vous les expliquer car j’atteins les limites de mes compétences) :

  • IPFS (un protocole hypermedia peer-to-peer). L’image employée pour décrire son fondement est que si on va sur Mars, on aura Internet qui fonctionne là-bas et ici.
  • Ethereum, une plateforme basée sur une blockchain sur laquelle on peut construire des services décentralisés.
  • Le projet collaboratif Hyperledger

Ces technologies toutes fraîches ont-elle un avenir ? Décentraliser le web en permettant l’émergence de services alternatifs est-il est vœu pieux ? Pas forcément, peut-on se dire, quand on regarde l’histoire de Firefox. A l’époque Gecko, l’ancêtre de Firefox a dû se frayer un chemin dans un internet où la quasi-totalité des sites étaient faits pour Internet Explorer. A l’époque, Microsoft avait 90% de marché. Les choses ont depuis bien changé !

En revanche, il me semble qu’un problème fondamental demeure : ce n’est pas difficile de faire prendre conscience des dangers liés à la centralisation du web, mais si rares sont ceux qui comprennent les solutions (du moins les solutions technologiques) on a un souci, non ?

Si les enjeux de l’Open Web vous intéressent, je vous recommande d’aller faire un tour au MozFest l’année prochaine, mais aussi :

Par ailleurs, les vidéos du MozFest 2016 sont disponibles ici.

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Par : Facebook, Inc.
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