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Le fascinant cas du Dr. Netflix & Mr. Data

« Ne me demandez pas mon avis. Je ne me fais pas confiance. Je fais confiance aux données. »

Une légende urbaine voudrait nous faire croire que l’intégralité des décisions prises par Netflix sont dirigées par les data.

Ce mythe est généralement illustré par la fameuse histoire de House of Cards qui aurait rassemblé David Fincher et Kevin Spacey parce que les données convergeaient en ce sens.
Et jusqu’à ce point de l’histoire, il s’agit de l’entière vérité. Netflix avait ainsi pu se rendre compte qu’un joli pourcentage de ses abonnés regardaient des films du réalisateur de The Social Network. Dans un même temps, le House of Cards réalisé par la BBC en 1990 était populaire sur le service, tout comme les films mettant en scène Kevin Spacey.
Si vous mettez toutes ces données bout à bout, commander un pilote à David Fincher pour placer Mr Spacey dans le rôle de Frank Underwood ne semblait pas un pari très risqué de la part de Netflix.
De là, notre esprit pouvait dériver et imaginer que l’utilisation des données était permanente, contrôlant les choix artistiques jusqu’à A/B tester l’histoire qui allait le mieux fonctionner.
Mais notre récente discussion avec Peter Friedlander (Vice-Président Série Originale chez Netflix) ne laisse aucun doute :
« l’art passe d’abord, la créativité n’est pas dirigée par la data ».
Il y a ainsi une limite que Netflix ne souhaite pas dépasser… utilisant les données pour mieux comprendre et prédire la réception d’une série, mais laissant aux réalisateurs, acteurs et scénaristes, une grande latitude pour s’exprimer dans la création.

A/B testing

L’art n’est donc pas sujet à A/B testing chez Netflix… mais pour le reste, c’est une autre histoire.
Pour s’en rendre compte, il n’y a pas meilleure rencontre que celle de Todd Yellin (Vice-Président Innovation Produit pour Netflix).
L’homme a passé plus de 5 ans chez Netflix où il a acquis le surnom de Mr Data. Il ne semble pourtant pas avoir fait le tour de son sujet et en parle avec toujours autant de passion.
Il parle avec humour des grandes sociétés où les hauts dirigeants prennent les décisions parce que la taille de leur salaire leur laisse à penser qu’ils en savent plus que les autres.

Toute la pensée de Yellin est résumée par cette déclaration : « Don’t ask me. I don’t trust myself. I trust data » (« Ne me demandez pas mon avis. Je ne me fais pas confiance. Je fais confiance aux données. »)
Pour prouver le bienfondé de cette déclaration, il fait défiler plusieurs slides sous forme de quizz.
Devant nos yeux, une série de 6 images utilisées pour mettre en avant la première saison d’Orange Is The New Black. Il nous demande laquelle a connu les meilleures performances.
A ce stade, vous ne pouvez qu’utiliser votre sens esthétique pour choisir la plus belle/percutante/accrocheuse (vous retrouvant dans la peau d’un directeur esthétique de magazine qui doit choisir si la couverture sera bleue ou rouge). Sauf que quelque soit votre choix, vous aviez le plus souvent tort face à la réalité du terrain. Une image, affichant un ciel bleu avec des nuages, le nom de la série et un simple fil barbelé, performait 19% mieux qu’une image mettant en avant les deux actrices principales.
Nous regardons 3 séries de ces images avant d’arriver aux 6 représentant Sense8.
Il nous demande à nouveau notre avis… et plutôt que de nous donner la « réponse », il lance « à ce stade, je n’en sais rien, il va falloir attendre la sortie. J’ai bien sûr mon préféré, mais je peux avoir tort. »

(Note : cette expérimentation mettra finalement à jour de grandes différences entre pays les amenant à personnaliser l’image selon le pays comme vous pouvez le voir sur l’image ci-dessous).

Une utilisation saine des données

« Je n’envie pas les gens chez Facebook ou Google, confie Todd Yellin. Ils servent deux maîtres. Nous ne servons que les consommateurs ».
Par cet aveu, il résume la fierté qui transpire du discours de nombreux employés de Netflix. En effet, si le service de streaming collecte des données, c’est avec l’objectif d’améliorer l’expérience utilisateur de leurs clients.
Netflix propose 1 mois gratuit (sans publicité), puis un abonnement à partir de 7,99€/mois. C’est tout.
Les données ne seront jamais revendues ou utilisées pour faire de la publicité.
Ce qui signifie également qu’ils ne collectent que les informations pertinentes pour améliorer l’UX de son service. Ils pensaient au début que le sexe et l’âge de l’utilisateur étaient des données importantes, mais ils ont retiré cette information du formulaire d’inscription quand ils ont compris que cela n’avait aucune pertinence pour eux. Et pour cause : des grands-mères de 90 ans regardaient Buffy et les Vampires.

La data est donc un allié précieux, mais les équipes de Netflix sont conscientes de leurs limites. Si vous êtes à la recherche d’un signal en particulier, vous risquez de sur-exploiter les données et de faire émerger une tendance qui n’existe pas.
Todd Yellin et son équipe sont ainsi constamment en train de tester sur les utilisateurs.
Il n’y a pas une journée qui passe sans qu’une version alternative ou de nouvelles fonctionnalités de Netflix soit utilisées par des milliers d’utilisateurs.
En vérité, pour ne pas perturber les clients existants en changeant l’expérience avec ses tests, Netflix va généralement réaliser son expérimentation chez ses nouveaux utilisateurs, présentant la version à un minimum de 100.000 personnes qui viennent de s’inscrire.
Ils peuvent ainsi collecter des données et se rendre compte si, grâce à cette version légèrement différente, les utilisateurs vont passer plus de temps à streamer des contenus, est-ce qu’ils vont rester davantage fidèle à Netflix, avec un taux de conversion vers la version payante plus important, etc.
Le service de Los Gatos peut ainsi non seulement savoir combien de personnes ont cliqué sur un épisode, mais aussi combien l’ont regardé en entier, combien ont réalisé de multiples pauses dans leur visionnage, à quelle heure de la journée ils l’ont regardé, etc.
Netflix possède ainsi une profondeur et une finesse dans les data qui ne sont pas rares dans les sociétés de la Silicon Valley, mais peuvent se vanter de ne jamais les utiliser à d’autres fins que d’améliorer l’expérience utilisateur. Cela fait toute la différence pour Todd Yellin.
Et à une période cruciale dans l’internationalisation de la plateforme (son lancement français date de moins d’un an), l’équipe data chez Netflix regarde avec intérêt les différences entre pays, prête à s’imaginer devoir préconiser des stratégies différentes d’un marché à l’autre. Les données ont pourtant soulagé les équipes en montrant l’absence de différences majeures.
Alors évidemment, vous allez vouloir me parler de la fameuse exception culturelle française, mais les données semblent pointer le fait que cela n’a aucune sorte d’incidence sur la manière d’utiliser la plateforme.
Et si ma rencontre avec Todd Yellin m’a appris quelque chose, c’est que l’on peut croire les données plus que tous dirigeants surpayés.

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Netflix
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Par : Netflix, Inc.
4.1 / 5
14,5 M avis
6 commentaires
6 commentaires
  1. Sauf que Netflix est payant … Et pour une fois les données sont aussi utilisées pour les utilisateur et pas seulement pour l’entreprise que les récolte.

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