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“Living Proof”, l’opération séduction de Bill Gates

Bill Gates, qui était à Paris pour deux jours afin de faire la promotion de son action en faveur du développement à travers sa Fondation Bill & Melinda Gates, ne se pousse pas du col. Pourtant il aurait de quoi, un peu.

“Avez-vous le sentiment de changer le monde ? Je fais partie d’un groupe de personnes qui ont probablement un peu contribué à changer le monde, avec le PC, et maintenant avec ma fondation.”

Bill Gates, qui était à Paris pour deux jours afin de faire la promotion de son action en faveur du développement à travers sa Fondation Bill & Melinda Gates, ne se pousse pas du col. Pourtant il aurait de quoi, un peu.

Le vaccin, sésame du développement

Maintenant qu’il consacre 90% de son temps à sa nouvelle vie de philanthrope (les 10% restants étant encore dédiés à une startup du nom de Microsoft, de son propre aveu), et 90% de sa fortune personnelle, il peut déjà s’enorgueillir de quelques succès. Comme celui, par exemple, d’avoir pratiquement éradiqué la polio du sous-continent indien grâce à un investissement massif dans des programmes de vaccination. Il est d’ailleurs frappant de constater après avoir passé quelques heures à proximité de Bill Gates lors de son séjour parisien que “vaccin” est le mot qui revient le plus souvent dans ses propos, lui qui considère – à juste titre – qu’il “n’est pas concevable que dans les pays pauvres, des enfants meurent de maladies qui n’existent plus ou qui ont été vaincues dans les pays riches, juste pour une question d’accès au soins, et aux vaccins”. Une sorte de mot – ou de formule – magique, le sésame qui ouvre toutes les autres portes de la lutte contre les méfaits du sous-développement. Prochaine cible : le paludisme.

Au-delà de l’évangélisation sur les bienfaits de sa fondation et de ses diverses initiatives (comme The Giving Pledge qui consiste à inciter 50 milliardaires américains et leur famille à donner au moins 50% ou plus de leur fortune de leur vivant ou à leur mort pour l’aide au développement et contre la pauvreté), le passage de Bill Gates à Paris, qui sera suivi d’une étape à Berlin mercredi, avait pour objet de réveiller les consciences sur la nécessité de faire pression sur les gouvernements pour leur engagement dans l’aide au développement.

Démontrer et prouver

Cette opération, nommée “living Proof” (“Preuve Vivante”) de la Bill & Melinda Gates Foundation et ONE (l’ONG de Bono et Bob Geldof) a pour objet de rappeler l’importance de l’aide publique au développement après la période de crise financière et économique mondiale dont les pays riches sortent à grand peine. Mais elle vise aussi et surtout à apporter des preuves des résultats obtenus par la fondation et les ONG qui en dépendent partiellement (ONE est financée en partie par la Bill & Melinda Gates Foundation) et à convaincre les opinions publiques que les fonds sont bien utilisés, en toute transparence, grâce à des procédures de vérification qui sont censées éviter toute gestion frauduleuse.

Bill gates a donc fait la tournée des popotes au cours de ce marathon de deux jours, entre ministères et grands médias (dont le 20h de TF1 et un passage chez Yves Calvi sur RTL), et j’ai eu la chance avec le camarade Mry (et sur sa recommandation) de faire partie de la cohorte, à l’invitation de Marquardt & Marquardt l’agence de relations internationales qui organisait et pilotait l’opération[1].

Côté coulisses…

Comme je sais que, maintenant que la présentation officielle est faite, c’est surtout ce que s’est passé côté coulisses qui vous intéresse, bande de midinettes, voici quelques éléments : le premier rendez-vous était fixé lundi matin à 11 heures sur l’esplanade du Trocadéro, ou Bill Gates est venu dédicacer une fresque réalisée par des graffeurs sur les thèmes-clé de la campagne et se prêter à une première séance photo.


La Tour Eiffel vue de mon iPhone (avec filtre)


Bill Gates est arrivé, sans se presser, avec Felix, organisateur de l’évènement


Oui, Bill, ceci est un iPhone


Le deuxième point fort de la journée (enfin surtout pour nous) était le cocktail dînatoire offert le soir dans une galerie d’art Place des Vosges, où étaient invitées une quarantaine de personnes, principalement des politiques et des personnalités du monde des affaires et des médias (Frédéric Mitterrand, Yann Arthus-Bertrand – qui n’est pas venu en hélicoptère…), quelques journalistes nationaux et internationaux (BBC, The Onion…), et deux blogueurs, Mry et votre serviteur. Le camarade Tarik Krim était là aussi.

Gates est arrivé tôt, juste après son passage sur TF1, et il a fait preuve une grande disponibilité, tapant la discute avec qui venait lui parler. Notre petit groupe de geeks l’a abordé en fin de soirée quand il n’y avait plus grand monde, et nous avons discuté à bâtons rompus pendant près d’une heure et demie, sur divers sujets, “Mark (Zuckerberg) me rappelle quelqu’un que j’ai très bien connu. Entre 20 et 30 ans j’ai consacré l’intégralité de ma vie au développement de Microsoft. Pas de sorties, pas d’amis, no girlfriends, Microsoft et c’est tout”. Détail à noter : Gates se passionne rapidement dans une discussion, sait écouter, a de l’humour, et apprécie le bon vin. On est donc – en tout cas dans ce contexte – très loin de l’image de savant autiste qui lui colle parfois aux basques. Le reste de la discussion (énergies, Fukushima, révolutions arabes…) fut d’ailleurs très animé, car l’homme a des positions assez tranchées sur ces sujets, mais ça c’est off.

Le dernier rendez-vous auquel je participais était une sorte de press-junket mardi matin sur une péniche amarrée près du Pont des Arts, où Bill Gates donnait des interviews de dix minutes chacune à divers médias, dont la BBC, Le Point et Canal Plus (Mouloud). Ce n’était pas prévu au départ – d’autant que nous avions eu de la matière en privé la veille au soir – mais j’ai pu aussi poser quelques questions à Bill Gates. Comme je ne suis pas un expert du développement durable, et que ce n’est pas l’objet de ce blog, il a fallu trouver un angle tech pour donner un peu de sens à ces questions, afin que vous ne partiez pas en courant, ou que l’épisode de la péniche ne se transforme pas en remake du Titanic version blog.

Cet épisode matinal s’est conclu par une petite séance photo avec mon iPhone, que Gates commenta, amusé, d’un “Absolutely no problem”. Ouf 🙂

C’est ainsi que se sont conclus pour moi ces deux jours avec Bill Gates. Il s’agissait bien sûr d’une opération de communication, annoncée d’ailleurs très clairement comme telle, mais pour la bonne cause. Juste histoire de rappeler aux dirigeants occidentaux leurs responsabilités, et qu’il serait bon ton de ne pas oublier nos amis du sud en prenant la crise comme prétexte. Juste histoire de rappeler aussi que la Bill & Melinda Gates Foundation, qui existe depuis onze ans, emploie près de 900 salariés dans une centaine de pays, et qu’elle est le deuxième plus donateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et que sa dotation en fait la plus “riche” fondation au monde avec 26 milliards d’euros de dotation.

Et dire que tout cela a commencé avec quelques lignes de code…

[1] un grand coup de chapeau à Felix Marquardt et son équipe pour l’organisation impeccable de cet évènement hors du commun qu’ils ont réussi à rendre convivial. Marquardt & Marquardt est une agence de communication spécialisée dans les relations internationales et les évènements autour du business, de l’art et de la politique, comme les très select Dîners de l’Atlantique.

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18 commentaires
18 commentaires
  1. Merci pour ce rapport circonstancié et intéressant de ces deux belles journées. Je souligne l’intérêt de l’intervention d’Esther Duflo, titulaire d’une chaire au Collège de France, visible dans les premières minutes de la video.

  2. Super article. Ca fait du bien de retrouver la “plume” d’Eric (les nombreux nouveaux auteurs ont du potentiel, mais j’avoue que pour moi Presse-Citron rime avec tes articles).

    C’est quand même la consécration de pouvoir discuter “politique” avec Bill Gates. La classe.

    En tout cas, sa générosité mérite d’être rappelée.
    C’est sûr que c’est facile quand on est immensément riche, mais nombreux sont les milliardaires qui n’en font pas autant ! (et en plus lui il essaye de le faire intelligemment)

  3. Bravo !!

    ” Juste histoire de rappeler aux dirigeants occidentaux leurs responsabilités, et qu’il serait bon ton de ne pas oublier nos amis du sud en prenant la crise comme prétexte.” – Oui, histoire de rappeler à nos gouvernements occidentaux qu’empêcher la production de médicaments génériques en Inde, sous pression des laboratoires pharmaceutiques, au risque de tuer des millions de gens est une mauvaise chose

    ***

    Et après, on entend à la télé que “90 % de vos dons iront à la recherche” et que les chercheurs c’est important, blah blah… Comprendre bien sur, que la plupart de vos dons permettront de breveter les derniers médicaments et empêcher les gens pauvres de les obtenir.

    Conclusion, vaut mieux donner des sous à Bill Gates et sa fondation que des campagnes nationales comme 110 ou Téléthon !!!

    Et oui, ce « n’est pas concevable que dans les pays pauvres, des enfants meurent de maladies qui n’existent plus ou qui ont été vaincues dans les pays riches, juste pour une question d’accès au soins, et aux vaccins ».

    Nos politiciens sont tous corrompus par les laboratoires pharmaceutiques et joue le double discours, aider les pauvres mais en même temps les priver de médicaments à bas prix… et on s’en fout s’ils crèvent

  4. @Eric : si tu n’étais pas en costume tu étais peut être moins ridicule que lui 😉 (je sais que les goûts et les couleurs… mais il y a des limites, non ?! )

    Merci pour ce retour passionnant, on parle énormément de la vie de Steve jobs mais finalement j’aime beaucoup l’histoire de Gates, devenu milliardaire philanthrope (avec la grande influence de sa femme, il faut le dire).

    Hâte de lire l’interview !!

  5. LE DRAME DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

    Ils n’ont rien compris et ils contiuent…

    « En Afrique les projets de Lutte contre la pauvreté appauvrissent les populations ! ».

    C’est une femme admirable qui le dit. Une Sénégalaise qui depuis Saint-Louis œuvre inlassablement pour aider les femmes de la vallée du fleuve Sénégal à faire renaître l’agriculture de la région. Les hommes eux sont, contre l’avis des femmes et au péril de leur vie, partis en Europe pour essayer de gagner quelque argent…

    « L’AIDE FATALE : Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique ».

    C’est Dambisa MOYO, une autre Africaine qui a écrit ce livre, elle sait de quoi elle parle pour avoir travaillé à la Banque Mondiale…

    « Ne pas avoir peur de dire aux Africains qu’on veut les aider, mais qu’on veut aussi que cela nous rapporte…/… ».

    C’est un homme qui le dit, un Français, le Secrétaire d’État à la coopération, le même qui ajoutera un peu plus tard qu’il faut créer un loto pour financer l’aide publique au développement ! ».

    « 6 mars 2011, une visite de 24 heures est organisée en Tunisie centrée sur les “coopérations concrètes” dans les domaines de l’énergie, des transports et de l’eau»

    C’est une femme qui la fait, le Ministre du Développement dit durable, accompagné d’une dizaine de personnes, dont le président de l’Agence française de développement (AFD) Dov Zerah, et celui de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) Philippe Van de Maele.
    Voilà donc qu’au lieu de profiter des grands changements qui se produisent dans ce pays, pour l’aider enfin à se développer en respectant la priorité des priorités : le secteur primaire, nous repartons gaspiller un argent que nous n’avons pas, pour des actions dites de « coopération concrète », qui n’apporteront rien à ce pays, mais dont nous espérons sans doute qu’elles nous rapportent !

    Tout a donc été dit et sur le constat d’échec de l’aide et sur le peu de chances qu’il y a dans sortir si l’on continue à refuser les leçons qui auraient dues être tirées de ce constat.

    Jacques DIOUF le Directeur Général de la FAO n’arrête de le calmer haut et fort : « Nous ne sortirons de la famine qu’en aidant ces pays à assurer en priorité leur autosuffisance alimentaire ». Or au lieu de le faire en commençant par le développement de leur secteur primaire, ce qui permettrait aux populations de vivre dignement dans leurs meubles, nous recherchons des marchés permettant d’assurer notre précieuse et sacro–sainte croissance.
    Nous recherchons au travers de l’immigration prétendument choisie une main d’œuvre pour des taches que nous ne voulons plus accomplir.

    Au lieu d’aider ces pays à assurer leur développement en commençant par atteindre leur autosuffisance alimentaire, non seulement nous les incitons à faire de l’agriculture industrielle en prétendant, imbécillité suprême, qu’ils dégageront les devises nécessaires à l’achat chez nous de leur nourriture ; mais nous leur faisons comprendre en prime que notre aide à leur développement doit avant toute chose nous rapporter.

    Au lieu d’aller écouter et soutenir Jacques DIOUF et la FAO au sommet de ROME sur la faim, nos chefs d’État irresponsables et inconséquents, ont préféré se livrer aux pitreries de COPENHAGUE, dont il ne pouvait rien sortir s’agissant de la recherche de solutions à un faux problème.

    Nous avons pendant deux décennies tenté de mettre en place des outils de développement, de financement notamment, qui ont fait la preuve de leur inefficacité et accentué pauvreté et famine dans les pays que nous entendions aider.

    Ce furent les funestes « ajustements structurels » imposés par la Banque Mondiale qui, pour simplifier, consistaient à pousser les pays à une indépendance et autonomie financière.
    Il fallait pour cela se procurer des devises, ce qui était fait par des cultures industrielles exportées alors que le niveau prioritaire d’autosuffisance alimentaire n’avait pas été atteint.
    Le résultat fut qu’il était impossible d’importer les ressources alimentaires de base en raison de la faiblesse des devises obtenues dans le cadre d’une organisation mondiale du commerce qui assassine les plus faibles.

    La Banque Mondiale dans cette phase avait rejeté violemment le modèle d’organisation coopérative du secteur agricole, et notamment la toute première étape de ce modèle remise à l’honneur par Muhammad YUNUS : la microfinance.

    La Banque Mondiale et les organismes de distribution de l’aide publique au développement affligés du syndrome du thermostat, qui fait qu’en matière de pensée nous agissions comme avec cet appareil dont nous ne connaissons que les positions extrêmes, revenait brutalement dans une deuxième phase à Muhammad YUNUS à sa Grameen Bank et à la microfinance sans imaginer que cette toute première étape d’un modèle millénaire devrait bien vite être dépassée.

    Les Pionniers de Rochdale en 1843, les producteurs de fourches de micocoulier dans le Gard en 1661, les créateurs de fruitières et autres tontines se référaient à des traditions ancestrales que l’on trouvait déjà chez les agriculteurs de Babylone, pourquoi l’outil mis en place dans nos agricultures il y a plus de cent ans ne serait il pas le modèle incontournable à développer chez ceux qui attendent que nous les fassions bénéficier de notre expérience ?
    Ce n’est pas parce que le merveilleux outil de la coopération est dépassé ou n’a plus lieu d’être chez nous que nous devons en rejeter l’utilisation dans les agricultures émergentes, ou en rester à ses toutes premières étapes comme nous nous obstinons à le faire avec la microfinance.
    C’est cet outil qui dépassant très vite la toute première étape de la microfinance a permis, il y a plus d’un siècle, à nos agricultures de connaître le développement que l’on sait alors qu’elles étaient dans la situation de celles que nous prétendons aider.
    Ils n’ont rien compris ! Ils n’ont pas compris en particulier que ce n’est pas l’augmentation du volume de l’aide qui résoudra le problème, mais l’amélioration indispensable de la façon dont elle est utilisée.

    Ils n’ont pas compris que l’imbécillité suprême qui consiste à trouver des financements innovants, non seulement n’apportera pas la solution, mais s’inscrit dans le contexte de cette économie virtuelle qui nous a conduit à la crise, et qui consiste à faire de l’argent avec de l’argent.
    Combien de petits enfants sont morts de faim dans le monde depuis une heure, sans que nous fassions quoi que ce soit pour l’éviter ?

    « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. »
    CONFUCIUS
    Philosophe, historien et homme d’Etat chinois
    « Yah ça m’a mordu, Back to the trees ! », retour aux arbres ! rugit oncle Vania notre lointain ancêtre face à l’apport trop brutal du feu qu’Édouard était allé chercher bien loin (Roy Lewis : « Pourquoi j’ai mangé mon père »).
    Apprends–nous plutôt à pêcher ! Sans nous renvoyer dans les arbres.

    À BERGERAC le 6 avril 2011
    Jean-Pierre Canot
    Auteur de « Apprends-nous plutôt à pêcher »
    apprends-nous.plutot.a.pecher@canot.info
    http://reviensilssontdevenusfous.blogspot.com/

  6. @JP Cannot
    Tu as raison mais pas complètement. Je t’invite notamment à mieux écouter ce que dit Esther Duflo dans son intervention et ce qu’elle a enseigné dans sa Chaire du développement durable au Collège de France accessible en ligne. Elle explique justement que les aides traditionnelles sont inutiles et contre-productives.

    Et je peux te dire que Bill Gates et beaucoup d’autres fondations ont bien compris ce message…

  7. J’ai trouvé fascinant cette conversation avec Gates à la fin du diner. C’est drôle de discuter avec quelqu’un qui par essence pense qu’il a raison sur tout (sa vie et son parcours lui donne raison par essence).
    Toujours un plaisir de ce voir sur Paris !

    bientôt
    -t

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