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Logiciel libre : le point de basculement

Se libérer de Google et des tentacules des géants du Web et de leur boulimie de données personnelles pour “passer au Libre” est une tentation qui émerge chez de nombreux internautes. Est-ce si facile ? Voici quelques pistes de réflexion.


Tribune rédigée par Jérôme Choain, aka « JCFrog » Ingénieur informaticien, blogueur, musicien et observateur attentif des évolutions du Web.
Cet article s’inscrit dans notre rubrique “Paroles de Pros” dans laquelle des acteurs réputés du numérique prennent la parole sur des sujets liés à l’impact d’internet et des nouvelles technologies sur nos modes de vie.
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La question du logiciel libre est compliquée, elle est vaste. Je propose de désamorcer quelques empoignades en écartant d’emblée (du moins je vais essayer) les aspects moraux du bien et du mal, les espaces de discussion sur le sujet étant légions. Chacun son opinion, mais après ces quelques années de révélations sulfureuses il est difficile de ne pas au moins se poser la question de la reprise en main de ses données personnelles. Cela tombe bien : il y du nouveau.Je ne suis pas là pour défendre un avis partisan mais pour témoigner d’un parcours, celui d’un noob en la matière qui essaye de prendre le chemin du libre. Et comme diraient nos amis de Framasoft dont je reparlerai plus bas : “La route est longue mais la voie est libre…”

Le logiciel libre

Le logiciel pour moi se divise en 3 grands groupes :

  • les OS (Linux, iOS, Windows…)
  • les applis (programmes pour desktop, mobiles, tablettes…)
  • les services en ligne (Gmail, Facebook, Twitter, …)

Je voudrais parler aujourd’hui des services car l’actualité frenchy est bouillonnante.

Peut-être faut-il aussi rappeler ce que libre signifie.

“Un logiciel libre est un logiciel dont l’utilisation, l’étude, la modification et la duplication en vue de sa diffusion sont permises, techniquement et légalement. Ceci afin de garantir certaines libertés induites, dont le contrôle du programme par l’utilisateur et la possibilité de partage entre individus.” Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Logiciel_libre

Encore un barbu idéaliste?

Pour me présenter, je ne suis ni un libriste de haut vol, ni un fanboy. J’ai 46 ans, j’ai travaillé la plus grande partie de ma vie sur PC/Windows, j’ai ensuite passé quelques années heureuses sur Mac/iPhone/iBidules, et je suis en train de repasser sur PC (et Nexus) mais je voudrais quitter Windows. Je ne suis pas utilisateur de libre jusqu’au boutiste, mais j’ai toujours un œil sur ses alternatives. Je les teste quand je peux, j’y reviens quand de nouvelles versions sortent, toujours en quête de ce que j’appelle le point de basculement : ce jour où le logiciel libre remplit l’essentiel de mes besoins au point de faire l’effort de m’engager dans l’apprentissage parfois nécessaire de nouvelles habitudes de travail. En gros je ne bascule pas tous les jours, mais quand cela arrive, je ne fais jamais marche arrière. Ma démarche personnelle est globale : je vise le libre, à long terme, à mon rythme.

Pour prendre quelques exemples concrets, s’agissant de la 3D, j’ai souvent essayé Blender, souvent renoncé, il a fallu du temps pour arriver à une version qui m’ait semblé digne de basculement. Depuis quelques années je ne jure plus que par ce logiciel fantastique. A l’inverse en terme de musique, je n’ai toujours rien trouvé qui puisse me pousser à abandonner GarageBand sur Mac.

Mais revenons en au sujet principal : existe-t-il des alternatives libres crédibles pour mes réseaux sociaux, mes documents en ligne, mon nuage…

Vivre sans Google?

Peut-on avoir une vie sociale et des services dignes de ce nom en quittant Facebook et Google? C’est la question folle que les petits gaulois de Framasoft essayent de poser en lançant avec humour mais conviction la campagne “Degooglisons internet”. http://degooglisons-internet.org/

L’idée est de reprendre le contrôle de sa vie privée, de ses données. Si l’ambition peut paraître folle, elle n’en est pas moins réaliste. Nulle prétention évidemment de rivaliser avec la firme au gigantisme toujours plus impressionnant, ainsi qu’à ses pendants du GAFAM (Google/Apple/Facebook/Amazon/Microsoft). Il est par contre question de montrer que les alternatives distribuées existent et qu’elles tiennent la route. J’ai eu un doute. J’ai essayé.

Association reconnue pour la promotion du libre et porteuse d’une éthique forte (charte http://degooglisons-internet.org/nav/html/charte.html), Framasoft propose un programme de développement, une liste d’alternatives libres pour chaque grand service dont on ne peut plus se passer. Et la liste est longue: http://degooglisons-internet.org/liste/

Les premiers services sont en ligne et j’en ai adopté quelques uns au cours des derniers mois :

  • framapad: un bloc note collaboratif sans compte à créer, la simple connaissance de l’URL permet de l’éditer. Fonctionnalité très basique mais impeccable, je m’en sers pour des associations, sa simplicité est une force.
  • framacalc: le tableur. Même principe mais là c’est encore un peu rustique à mon gout. Je m’en sers également en milieu associatif, pour des tableaux simples ça fait le job.
  • lutim: pour héberger des images de façon temporaire ou permanente.
  • framasphere: un réseau social de type facebook. C’est en fait un pod Diaspora dont je découvre avec grand plaisir que ce n’est pas du tout un projet mort.

Ce ne sont que quelques exemples, ceux qui correspondent à mes besoins, chacun y trouvera ses priorités.

Une objection courante: un des objectif de départ dans la “libération”, c’est de s’orienter vers des solutions distribuées (lire Stallman dans Wiredhttp://www.wired.com/2013/10/a-necessary-evil-what-it-takes-for-democracy-to-survive-surveillance/) , or l’idée d’éparpiller nos données peut sembler antinomique avec celle d’aller tout mettre sur les serveurs de Framasoft. Certes.

Framasoft se place dans une logique d’éducation populaire. Installer des nœuds de services distribués reste encore compliqué. Personnellement j’aurais aimé héberger mon pod Diaspora pour mes potes ou ma famille, mais sur mon hébergement mutualisé et avec mes maigres compétences, ce n’est pas encore gagné. La découverte de ces services dont une instance est publiée par des gens (en ce qui me concerne) de confiance est un aubaine. L’objectif de Framasoft n’est pas d’accumuler des abonnés, mais de pouvoir découvrir chez eux ce qu’on peut faire partout. Libre à chacun d’installer l’équivalent ailleurs.

A titre personnel il me semble que tout ceci fera un bond en avant le jour où on pourra installer un Framapad ou un nœud Diaspora aussi simplement qu’on déploie un blog WordPress.

Oui mais mon Gmail?

Reste un gros point noir : le mail, et plus largement les communications dites privées (SMS, messages privés réseaux sociaux, messenger, …).

Là aussi un projet fou est né dans la tête de solides références de l’internet frenchy. Laurent Chemla porte le projet Caliopen https://caliopen.org/ que personnellement je trouve admirable. Cette plateforme veut centraliser toutes vos communications privées avec une gestion claire et omniprésente des niveaux de confidentialité. Tout ceci dans une logique de plugin qui vous permettra de brancher votre service préféré plutôt que de le quitter, ce qui est parfois difficile.

Ici aussi l’approche populaire est mise en avant. Cela signifie qu’on ne vise pas une élite ultra encryptée à l’abri des vilains espions, mais une gestion globale de la sécurité pour tous, partant du principe qu’il est inutile de se protéger si 99% de nos correspondants ne le sont pas.

Il faut donc quelque chose de simple, ergonomique et intrinsèquement pédagogique. Il s’agit d’emmener du monde, doucement, avec notamment une logique de plugins qui permettra à chacun de connecter ses services préférés plutôt que de devoir les abandonner.

Caliopen est me semble-t-il un projet brillant, il manque de visibilité et de développeurs. Si cela vous intéresse, précipitez-vous pour écrire l’histoire !

J’ai déjà été trop long, je ne vais pas développer Caliopen mais je vous invite vivement à regarder la conférence ci-dessous avec Tristan Nitot de Mozilla France en maître de cérémonie, et qui réunit justement deux présentations de ce dont nous avons parlé aujourd’hui : Pierre-Yves Gosset pour présenter Framasoft et Laurent Chemla pour Caliopen.

Pour conclure je dirai juste une chose : certes je n’ai encore fermé aucun de mes innombrables comptes sur mes outils et réseaux “propriétaires”, mais pour la première fois je commence à réellement envisager la chose possible.

Références et sources : video Firefox paris Chemla Caliopen / pyg Framasoft Degooglisons le net https://air.mozilla.org/paris-meetup-pour-la-decentralisation-dinternet-3/

Illustration https://framasphere.org/uploads/images/scaled_full_79c6ac0d00b1a5c10893.jpg

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  1. Bref pas si simple et cela reste fragmenté même si mieux pour la sécurité.
    L’intégration des outils G+ est quand même un super plus.

  2. Bonjour à tous,

    L’initiative de vouloir des alternatives libre aux produits des grands éditeurs est tout à fait louable, je n’ai rien contre l’association Framasoft mais la liste d’alternative qui nous est proposé est uniquement issue de produit Framasoft… Je ne fais que déplacer mes données d’un éditeur à un autre au final.
    Le seul point positif est peut-être qu’elles seront mieux gérés et pas vendu.

  3. Non justement, Framasoft est une asso avec seulement 2 salariés et une quinzaine de bénévoles, dont aucun codeur.

    AUCUN des programmes ou services présentés ou hébergés n’est le leur, ils se contentent de les présenter.

    Leur but est double : d’abord informer le grand public de l’existence d’alternatives aux logiciels et services propriétaires de Google, Facebook, Microsoft & Co, ils n’envisagent même pas une seconde de se poser en “concurrents”.

    Ensuite, en les hébergeant chez Framasoft, permettre de les utiliser très facilement.

    Mais l’objectif suivant est de rédiger des tutoriels et d’essayer de simplifier les process d’installation pour que se multiplient les initiatives auto-hébergées et décentralisées.

    Donc oui dans un premier temps on peut avoir l’impression de passer du tout-Google au tout-Framasoft, mais ce n’est qu’une étape et a priori Framasoft ne revend pas nos données.

    Ils ont aussi fait et réussi un crowdfunding pour développer un plugin open-source à Etherpad en payant un développeur, donc à terme l’envie est également de contribuer upstream aux projets libres.

  4. @Adrien: je pense que tu as mal lu ou bien ce n’est pas assez clair.
    Framasoft propose un catalogue d’alternatives qui existent par ailleurs. Ils ne développent pas eux même.
    Pour ce qui est des services, outre une plus grande transparence, ils sont tous déployables à titre individuel.
    Enfin, je ne vois pas bien en quoi ne pas vendre est un signe de meilleure gestion.
    Je préfère payer une application ou un service de manière directe plutôt que de payer par ma vie privée.

  5. Bonjour, la tentation de “quitter” Google est régulière pour ceux (dans le milieu informatique/web) qui prennent réellement conscience de sa puissance. A mon sens la question n’est pas tant de savoir quels pourraient être les moteurs et logiciels alternatifs, mais comment recréer un univers de recherche sémantique global pas exclusivement mercantile (on aurait le choix lors de l’utilisation du moteur). Et là… Ça va être compliqué puisque toute la stratégie marketing des annonceurs est basée sur les interactions entre leur site et le moteur de recherche (on met bien sûr dans la triangulaire les réseaux sociaux, mais eux ne constituent pas un conglomérat). De gros sous sont en jeu à chaque seconde, et les internautes sont tellement habitués à utiliser Google que pour eux, “Google c’est Internet”.
    Le géant a acquis sa domination grâce à l’ouverture de sa messagerie Gmail, qui a créé un véritable appel d’air massif et a contribué à rendre les utilisateurs captifs (grand public, annonceurs, professionnels IT). Je précise : innocemment captifs côté grand public. C’est lui que Google a ciblé. Plutôt que de renverser totalement ce schéma (je vous souhaite bon courage), la piste serait de faire entrer des logiciels libres éprouvés dans les usines des pc/mac (un peu sur le principe du cheval de Troie), de manière à ce que leur utilisation puisse devenir un réflexe et un point de comparaison avec les autres applis/logiciels qu’on veut absolument nous “pusher”.

  6. C’est la licence GNU qui compte. Le code source est lisible par tous. Ce qui induit, au cas ou il y aurait un code malveillant, celui-ci serait détecté rapidement. J’entend par malveillant un code qui aurait pour fonction de collecter des informations à votre insu, sans parler de ceux que l’on nome “virus”, “vers” et autre joilleuseté. La gratuité est un choix de distribution au même titre que le payant. Le GNU est plutôt une forme collaborative qui oblige à la transparence totale et par de la même nous protégé du mercantile. Un logiciel seulement gratuit ne peux absolument pas vous garantir cette qualité non intrusive. Framasoft ne vous propose que des licences GNU.

  7. Bravo Jérôme !
    Ma démarche est la même que la tienne, pas d’extrémisme idéologique mais toujours l’idée de l’importance de la vie privée dans un coin de ma tête, en basculant peu à peu vers des outils alternatifs lorsqu’ils me semblent pouvoir répondre à mes besoins.

    Merci Eric de diffuser ce genre de tribune ici, cela me semble important de partager ces réflexions avec le plus grand nombre.

  8. J’étais déjà utilisateur de Libre Office, Audacity ou VLC comme beaucoup et là, ayant déménagé je teste actuellement Sweet Home 3D pour l’aménagement intérieur.
    Cette campagne “Degooglisons internet” m’a donné l’envie de suivre de plus près ces projets interessants.

  9. Le logiciel libre est en pleine croissance dans la province du Québec !

    Nous avons besoin d’une plateforme libre et ouverte collective et coopérative sur laquelle les entreprises et travailleurs autonomes offrant des services en logiciels libres puissent offrir leur services

    Et que avec tout cela, le gouvernement puisse voir à quel point tout cela lui est à portée de main , clé en main même.

    Des économies de milliards de dollars par années, en plus d’encourager les entreprises locales et les startups en pleine croissance.

    Logiciels libres VS terminator

  10. Au final, et c’est bien triste, on revient quelques années plus tard et l’on constate que tous ces projets sont morts ou n’ont pas évolué d’un iota depuis leur lancement. Je suis un grand supporter du logiciel libre dans son idée, mais force est de constater que 99% des projets à visée commerciale sont avortés ou ne grossissent pas suffisamment pour acquérir une base utilisateur permettant le maintien en vie de l’infrastructure. Je fais en ce moment une petite étude historique sur le sujet, et les listes sont très longues…

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