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Réseaux et bornes de recharge pour voitures électriques, le nouvel internet ?

Les infrastructures de recharge pour véhicules électriques peinent à se développer et à s’harmoniser. Elles deviennent pourtant un enjeu crucial pour les années à venir.

Je roule en voiture électrique depuis quelques semaines. Mais je n’ai pas eu besoin d’attendre ces derniers jours pour constater et comprendre à quel point la vie des pionniers du véhicule “propre” peut devenir parfois extrêmement compliquée, voire tourner au cauchemar pur et simple.

Un sentiment renforcé par une expérience personnelle que je vis presque quotidiennement : le parking public Lyon Parc Auto (groupe Eiffage) dans lequel j’ai un abonnement depuis onze ans pour un emplacement à l’année compte 449 places, dont seulement quatre places dotées de prises de recharge pour voiture électrique. Quatre pour 449, vous avez bien lu. Ce qui nous fait un ratio inférieur à 1%, 0,89% si on veut être précis.

Si ces quatre pauvres bornes pouvaient sembler suffisantes – elles étaient souvent très peu occupées – il y a quelques années, quand les premières Tesla et autres VE arrivaient timidement sur le marché, la donne a bien changé depuis. Pour poursuivre sur ma modeste expérience personnelle, je constate chaque jour que les quatre bornes sont fréquemment occupées, et je dénombre à date pas loin d’une dizaine de voitures électriques ou hybrides rechargeables dans ce parking, là où elles étaient pratiquement inexistantes il y a seulement deux ans de cela. De fait, le parc est très varié, et cela permet de se faire une idée de l’enjeu de la recharge électrique en 2019. De mémoire, j’ai compté deux hybrides rechargeables, une Volvo XC60 et une VW Golf, et sept électriques :  deux Renault Zoé, une Renault Twizy, une Nissan Leaf, une fourgonnette de la Ville de Lyon et deux Tesla Model 3 (en comptant la mienne). Si je compte bien, cela nous fait déjà neuf véhicules nécessitant une prise de recharge. Alors bien sûr, toutes ces voitures ne se présentent pas pas en même temps, mais il est de plus en plus fréquent que toutes les bornes soient occupées. J’en ai fait encore l’expérience il y a deux jours, où je n’ai pas pu brancher ma voiture pour la recharger en arrivant le soir. Je précise que la recharge sur ces bornes est pour le moment gratuite, mais qu’à mon avis cela ne va pas durer, connaissant la rapacité de ce genre d’opérateur.

Lyon Parc Auto gérant plusieurs parking sur l’agglomération de Lyon, j’en déduis que le problème est le même partout : une offre de recharge sous-dimensionnée par rapport à une demande en forte croissance. Il suffit de voir par exemple le parking Antonin Poncet, l’un des plus grands de l’hypercentre (704 places) qui offre valeureusement… trois bornes de recharge “Domestique UE” Standard 3,7KW Alternatif monophasé (les moins puissantes à ma connaissance), dont une HS au moment où j’écris ceci. Trois bornes pour 704 places, qui permettent dans le meilleur des cas de recharger à un rythme de tortue de 10 kilomètres par heure. Si vous arrivez avec une Tesla à 30%, il vous faudra environ trente-cinq heures pour refaire le plein. Si vous la laissez le temps d’aller au cinéma, à condition que vous ayez la chance de tomber sur une place libre, vous aurez récupéré bon an mal an une portée stratosphérique d’environ vingt kilomètres.

En matière d’infrastructure de recharge, nous en sommes à l’ère du modem 56k

Alors bien sûr, les derniers chiffres indiquent que le parc de VE en France serait de 0,5% soit une petite poignée de cacahuètes (sans l’écorce). Mais il représente quand même désormais 2% des nouvelles immatriculations, et surtout il apparait de plus en plus évident qu’il se concentre pour le moment essentiellement sur les centres urbains, et que le marché devrait connaitre une forte croissance dans les mois et années à venir, d’autant que le gouvernement veut favoriser cette transition vers l’électrique – avant probablement de nous attendre au coin du bois avec une bonne grosse matraque fiscale quand il jugera que nous sommes suffisamment nombreux à y être passés pour que cela soit significatif dans les comptes de Bercy. Mais ça aussi c’est un autre sujet. Quoique…

Bref, vous l’avez compris, c’est compliqué.

Cet état des lieux me fait penser à ce que nous avons vécu aux tout débuts d’internet. Ne riez pas, en ces jours où le Web souffle fièrement sa trentième bougie, on ne peut s’empêcher de trouver quelques similitudes entre ces deux étapes de l’histoire de la technologie moderne. Tout d’abord, souvenez-vous tous ceux qui n’y croyaient pas (“internet, pfftt ça ne marchera jamais mon gars”, rires dans la salle), puis, très vite, le truc qui se répand comme une trainée de poudre parmi une poignée de geeks qui s’ignorent encore et de early adopters. Des adeptes de la première heure qui se heurtent vite au même type de difficultés que ceux qui roulent électrique aujourd’hui : vivre une sorte d’angoisse en espérant trouver de quoi se connecter, trouver “du réseau”, notamment en déplacement.

Vous avez dit “réseau” ? C’est exactement de cela qu’il s’agit. Internet permet de connecter les hommes. La voiture aussi, d’une certaine façon. D’ailleurs vous remarquerez que les grandes innovations dans l’histoire – l’électricité, le train, l’avion, la voiture, la radio, la télé, internet – ont toujours eu à peu près la même vocation : raccourcir les distances, abolir l’isolement et in fine rapprocher les gens. Or le réseau de recharge électrique est aujourd’hui trop disparate et d’une densité insuffisante pour assurer une bonne fluidité des déplacements. Comme l’était le réseau internet à la fin des années 90. Mais outre l’infrastructure c’est surtout ce sentiment que connaissent les early adopters de l’électrique d’être pris pour des extra-terrestres, et parfois pour des gogos, qui ressort fréquemment : réseaux de recharge en concurrence sauvage qui imposent chacun leur abonnement (comme les FAI) avec à chaque fois une carte et des modalités spécifiques, au lieu de chercher à s’entendre sur un paiement à l’acte avec une carte de crédit ou un abonnement unique, ce qui rend la vie du client (vous savez, celui qui paie) impossible, bornes HS (comme certains points WiFi), puissance de charge anémique selon le lieu (comme certains réseaux 3G/4G) et certains terminaux non compatibles. Ne vous méprenez pas, tout ceci est le fruit d’un marché libre et je me réjouis évidemment de la concurrence et de ce qu’elle apporte généralement, notamment en termes de tarifs. Mais dans le cas qui nous occupe, nous subissons pour le moment essentiellement les effets néfastes de la concurrence (absence de cohérence) sans réellement bénéficier de ses avantages.

Pour une “neutralité du réseau de chargeurs”

Il faudrait pour cela établir une sorte de charte du nomadisme électrique qui pourrait poser les bases d’une “neutralité du réseau de chargeurs” au même titre que nous avons aujourd’hui la fameuse neutralité du net. On devrait aussi pouvoir faire facilement un partage d’énergie comme on fait un partage de connexion avec son téléphone : votre voisin n’a plus que 10% de batterie dans sa voiture, vous avez 90% dont une partie ne vous servira pas dans l’immédiat, pourquoi ne pas lui transmettre 20 ou 30% pour le dépanner, quitte à ce qu’il vous dédommage. Un câble compatible sécurisé et une app mobile avec micro-paiement si besoin devraient faire l’affaire, non ? A ce titre, l’expérience Solarcamp, dont je vous avais parlé ici, me parait intéressante et prometteuse, même si sa mise en application est légèrement différente.

Cependant, dans ce maelstrom, il y a un acteur qui a pris une voie différente, et c’est ce qui en fait la spécificité, vous me voyez venir : je parle de Tesla évidemment. Tesla a fait comme un opérateur téléphonique : il vend les terminaux, le réseau et l’accès au réseau dans le même package, mais à front renversé. La marge – confortable apparemment – est faite sur les voitures et la recharge est gratuite (ou peu coûteuse quand elle est payante pour le Model 3). Étant donné les investissements colossaux que nécessitait la mise en place d’une nouvelle industrie, Tesla ne pouvait se permettre de faire comme les opérateurs téléphoniques, à savoir fournir les voitures à bas coût et se rattraper sur un abonnement de X années aux Superchargeurs, avec pourquoi pas en plus un tarif à la recharge. Qui sait si ce modèle ne pourrait pas émerger un jour ? Renault loue bien les batteries de ses Zoé.

Internet célèbre ses trente ans. On considère aujourd’hui qu’il est aussi indispensable que l’électricité. Bientôt, le développement du marché des voitures électriques, nous dirons peut-être que l’électricité est aussi indispensable qu’internet. La boucle sera bouclée.

PS : si vous validez ce genre d’analogie (qui n’engage que moi bien sûr), jetez donc un œil sur celle-ci

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10 commentaires
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  1. Les superchargers de Tesla ne viennent pas d’une “marge confortable”, pour mémoire Tesla se bat toujours pour survivre. Néanmoins le coût du réseau a des le début été intégré dans le prix d’achat du véhicule. Personne ne s’en souvient mais au départ c’était une options, de mémoire à au moins 2000 USD, d’ailleurs il y a encore sur les routes des modèle S qui n’ont pas accès aux superchargers car le premier propriétaire n’avait pas pris l’option. Mais Tesla à vite rendu cette option obligatoire. Imaginez où en serait le monde de l’electromobilité si tous les constructeurs avaient fait la même chose.

    Du coup demander une neutralité est à présent difficile, à moins que chaque possesseur de Tesla se voit au préalable remboursé 2000 USD. Une alternative pourrait être que le conducteur d’une non Tesla voulant se charger sur les superchargers paye un prix d’entrée de 2000 USD, puis un prix au kWh comme les possesseurs de Tesla. Je ne suis pas sûr que beaucoup soient partants.

    Pour revenir à votre problème de parking, vous donnez la solution des les premières lignes : achetez vous un garage. Et comme vous l’avez remarqué ça vous coûtera très largement moins cher. Et lorsque votre Tela sera en fin de vie il vous restera le garage pour votre prochain VE. Je suis lyonnais et ce ne sont pas les garages qui manquent car beaucoup se passent à présent de voiture. Dans les copropriétés beaucoup de garages sont vides…

    1. Au pire achetez ce garage à crédit, aux taux actuels vous aurez vite remboursé si vous versez des mensualités de l’ordre de votre abonnement à Lyon Parc auto…

  2. 2 problèmes :

    – au niveau individuel, avoir son garage avec un branchement permettant la recharge n’est pas évident, les constructions existantes n’ayant pas été conçues dans cette optique et faire une installation à postériori n’est pas facile (même si les copropriétés ne peuvent pas s’y opposer) ;

    – d’une manière générale et indépendamment des fournisseurs, c’est l’infrastructure globale qui est en cause : l’alimentation de toutes ces prises, avec des grosses puissances impose de modifier le réseau existant en profondeur (voir la SmartGrid).

    1. Il faut relativiser, pour des prises dans les garages ou sur les places de parkings (lorsqu’elles sont attribuées à un logement) on n’a pas besoin de “grosse puissance”. Une puissance de 3 kW peut suffire, 7 kW c’est le luxe, et 11 kW c’est pour les personnes qui font 500 km tous les jours. On parle ici de recharge au domicile, pas d’une recharge pendant qu’on fait ses courses et encore moins d’une recharge durant un long trajet avec tout le monde qui attend dans la voiture. En France installer de telles prises, disons 16A, ne présente aucun problème. Après évidemment chaque situation est différente. Dans ma précédente résidence j’avais fait le choix d’un fournisseur (Zeplug) car mon logement était loin du garage, et surtout le garage était au -2 ce qui peut poser des problèmes réglementaires (les pompiers veulent pouvoir couper le courant dans les sous-sols). Dans ma résidence actuelle les garages ne sont pas en sous-sol aussi tirer un cable du garage jusqu’à mon compteur ne pose pas de problème pour le syndic. À noter que j’ai pris ce fait en compte lorsque j’ai choisi mon nouveau logement.

      1. Merci pour ces précisions, d’accord sur le fait qu’il ne faut pas une grosse puissance dans un parking, mais je pense qu’il va falloir l’augmenter quand même car la pression de la demande va le nécessiter. Exemple : cette semaine j’ai mis ma Tesla en charge, il restait environ 200 km d’autonomie et j’avais besoin de la pleine charge pour un autre déplacement, résultat j’ai dû laisser ma voiture branchée plus de 2 jours pour qu’elle soit complètement rechargée. J’ai donc squatté le chargeur du lundi soir au jeudi soir, empêchant d’autres usagers de se brancher. Si la charge était plus puissant cela permettrait une meilleure rotation. Alors bien sûr on pourra toujours me dire que j’ai mal géré, que j’aurais pu recharger juste une nuit et m’arrêter ensuite à un Superchargeur pendant mon déplacement, etc, mais ce n’est pas aussi simple. Le SuC le plus près de mon domicile est à 20 km, en banlieue de Lyon, alors que j’habite en plein centre, cela suppose de vraiment prévoir…

        1. Oui, mais est-ce que la solution, plutôt que “plus de puissance” n’est pas “plus de prises”. Je dis volontairement “prise” pour signifier que le besoin selon moi est d’avoir *beaucoup* de charge AC même si ce n’est que du 3 kW. Installer une prise supportant 3kW se compte en centaines de francs voire en dizaine de francs si une autre prise n’est pas très loin. Dans l’idéal, une voiture stationnée devrait pouvoir être en charge, de préférence en heures creuses mais 24h/24 si le conducteur a besoin de rattraper un long parcours. Je comprends bien que comme ce n’est pas votre garage la balle n’est pas dans votre camp, honte à Lyon Parc Auto qui a fait beaucoup de buzz au début puis qui s’est discrètement désengagé. Plutôt que de faire des déclarations et d’acheter quelques VE pour l’image, les municipalités devraient installer une charge lente devant le domicile (ou au plus près possible) de chaque possesseur de VE, gratuitement sur simple présentation de la carte grise. Ce serait bien plus intelligent que de créer des stations au hasard en ville. Cette place ne serait pas réservée au possesseur de la carte grise, mais néanmoins réservée VE. Sachant que si un voisin a aussi un VE, il aura aussi sa place. Ça n’a rien d’utopique, c’est fait dans d’autres pays européens. Et pour les garages privés, comme Lyon Parc Auto, la municipalité devrait imposer une prise 3kW a chaque emplacement, un investissement ridicule pour ce groupe sachant que le courant est partout dans leurs garages, la seule chose qui pourrait manquer à terme c’est la puissance globale mais il leur sera possible de l’augmenter au fur et à mesure de la monter en charge (nombre de VE).

  3. Redonner une partie de l’energie de sa batterie VE pour dépanner un autre VE ou pour soulager le réseau en période de pointe est évidemment une piste d’avenir pour l’electromobilité. Toutefois cela présente l’inconvenie de multiplier les cycles d’utilisation du pack batterie et il y a bien sûr une limite. Or dans le cas de Tesla, les batteries sont garanties 8 ans km illimités ( sur les Model S et X), on comprend donc aisément pourquoi Tesla ne permet pas actuellement d’utiliser l’energie de la batterie de sa voiture pour autre chose que rouler avec !

    1. Tesla pourrait prévoir que le client puisse renoncer à sa garantie et permettre d’autres usages. En fait c’est déjà le cas, un conducteur dans un pays très chaud ou très froid utilise plus de batterie à kilométrage égal. Au final, l’idéal serait que la garantie soit en kWh plutôt qu’en années et/ou km. Ça viendra dès que le public sera “éduqué”, pour le moment la cible principale est le conducteur de VE qui lui raisonne en km. Cela dit, si vous voulez une voiture capable de dépanner vos concitoyens il y a la Sion, hélas à moins qu’elle ne se généralise vous aiderez souvent mais serez rarement aidé, mais c’est un pattern récurrent pour le conducteur de VE qui améliore la qualité de l’air respiré par tous tout en respirant les gaz d’échappement des conducteurs de VT.

      https://sonomotors.com/en/sion/

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