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En immersion chez OVHcloud, dans l’antre de l’Internet français

Ici, 1 site web français sur 3 est stocké. Un lieu ultra-sécurisé, où se présentent des défis techniques, numériques et politiques.

À Roubaix, dans une région française où le recul de l’industrie a plongé beaucoup de personnes dans une nécessaire reconversion (31% de ses habitants sont au chômage), OVHcloud montre que le numérique peut être une source d’emplois et de production physique, à l’impact certain sur la société de demain. Né d’une histoire familiale, aux sorties d’études d’Octave Klaba en 1999, OVH se lançait à l’aveugle dans un secteur duquel il ne pouvait pas encore mesurer l’envergure. Du pari d’héberger 1 site web français sur 3, se sont présentées les forteresses de la concurrence des GAFAM, et l’urgence de se porter garant de la souveraineté européenne.

“Cette bataille qui est la vôtre, c’est une bataille de la rapidité, c’est une bataille mondiale”, disait Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, lors de l’inauguration du Campus OVH en février 2016. “On dit souvent que le numérique, c’est de l’abstraction, que ce ne sera pas des bâtiments, que ce ne sera pas des emplois, que ce ne serait trop souvent que des menaces. Nous sommes là, physiquement, dans la symbolique d’une entreprise que vous avez réhabilitée – au milieu d’une friche industrielle – pour montrer que le numérique, quand ça marche, c’est un lieu. Un lieu de vie et de production. Et ce sont aussi des emplois, d’aujourd’hui et de demain”.

Ces portes, ces murs, OVHcloud a accepté de nous les ouvrir en juin 2022. Nous avons pu pénétrer au coeur de deux activités majeures de la firme, de ses usines de production à ses datacenters, où une grande partie de l’Internet français est hébergé. Lieu de convoitise, de secrets commerciaux, bâtiment ultra-protégé où chaque entrée et sortie ordonne une pesée, on comprend très vite ici que la sécurité sur Internet n’est pas qu’une question de logiciel. Le monde virtuel et connecté, accessible depuis nos écrans, chaque jour, se protège ici de toute intrusion, de toute poussière et de toute fumée. Derrière cette page web, derrière votre écran, derrière votre jeu en ligne… voici OVHcloud, Roubaix, et ses centaines de milliers de serveurs assemblés et exploités sur place.

OVHcloud usine employe
À Croix, dans la nouvelle usine de production des serveurs OVHcloud © Presse-citron

Au coeur de la fabrique d’Internet

Pour héberger les sites internet et stocker les données accessibles en ligne, il faut des serveurs. Beaucoup de serveurs. Chez OVHcloud, ils sont 400 000 en activité. De quoi faire de la société française le premier acteur de l’hébergement en Europe, avec 1,6 million de clients et 33 datacenters présents sur quatre continents. Plutôt que d’aller directement visiter ces espaces où sont branchés les milliers de machines aux tonnes de câbles, de ventilateurs et de petites lumières vertes et rouges, nous avons d’abord pénétré les usines où chaque composant de l’Internet palpable et fragile est assemblé. Lieu d’autant plus secret que les datacenters, c’est là qu’OVHcloud opère.

OVHcloud usine logistique
L’espace de réception des fournisseurs OVHcloud © Presse-citron

“Étant donné l’hypercroissance d’OVH, il fallait que nous puissions disposer d’un nouveau site de production pour l’Europe”, déclarait Guillaume Hochart, à la tête du projet de l’usine, devenu le directeur à son ouverture en 2019. En tout, 160 personnes, réparties dans plusieurs branches, ont investi le nouveau bâtiment situé à Croix. C’est grâce à lui que la capacité de production s’est élargie. Avant, OVHcloud produisait principalement dans ses usines canadiennes, près de Montréal et sur un autre site à Croix. “La semaine passée, 1340 serveurs sont sortis des chaînes de montage. Et la capacité peut monter jusqu’à 2500”, nous confiait son responsable, qui se souvenait du début de la pandémie et du boom de la demande.

L’Europe possède donc ses propres usines et les serveurs vendus par OVHcloud se targuent d’être made in France, un très bon argument de vente pour la confiance des clients dans la protection et la proximité des données. La force de frappe d’OVHcloud ? Pouvoir remodeler l’offre de ses clients en ajoutant de meilleures pièces sur leurs serveurs (une meilleure puissance, plus de stockage, etc…). Mais pour construire des serveurs, il faut des composants, inhérents à l’informatique : processeur, RAM, disque dur, carte mère, alimentation et système de refroidissement.

La semaine passée, 1340 serveurs sont sortis des chaînes de montage

OVHcloud serveur
Un serveur OVHcloud, en cours d’assemblage © Presse-citron

OVHcloud ne produit pas tous les composants, au contraire. Dans les usines de Croix, on conçoit les châssis des serveurs via une machine et on réceptionne les circuits hydrauliques par plusieurs sous-traitants locaux. Les circuits imprimés, processeurs, RAM et stockage viennent de l’étranger. Les partenaires principaux s’appellent Samsung, Intel et AMD. Parmi ses principaux secrets industriels, OVHcloud protège son système de refroidissement à eau. Parti d’un simple test, dans un garage, avec une pompe pour aquarium, la société arrivait à industrialiser un système qui lui permet encore aujourd’hui de diviser par deux sa note d’électricité.

Usine OVHcloud Croix
© Presse-citron

L’usine est divisée en deux parties, où les serveurs se croisent sur des cycles de vies différents. Pour pouvoir limiter ses coûts face à la concurrence, notamment Amazon et Google, la société française a dû se tourner vers l’économie circulaire et le recyclage. “Ici, les serveurs ont trois vies”, nous expliquait Guillaume Hochart. En général, chacune dure 3 ans et un serveur neuf classique possède au moins 34% de pièces reconditionnées. Google fait mieux, avec 4 cycles de vie désormais. OVHcloud espère pouvoir tenir tête prochainement avec la démocratisation d’un nouveau modèle de serveur, inauguré à la mi-juin. Des exceptions existent pour les clients face au reconditionnement. Pour tout serveur d’un client sujet aux normes PCI DSS (organisations qui traitent des données de cartes de paiement) les disques durs sont entièrement broyés, et pas simplement vidés de leurs données.

Ici, les serveurs ont trois vies

Du côté de l’assemblage des serveurs neufs, le parcours rappelle celui de la conception d’une voiture, en simplifié. D’un espace de réception des pièces, où chaque composant est ensuite enregistré et rangé dans de grandes allées, des magasiniers sont ensuite responsables d’aller récupérer ce dont ils auront besoin pour les commandes en cours, avant de les présenter à des groupes de trois employés chargés de monter chacune des pièces sur le châssis. Réceptionnées la veille de leur assemblage, les pièces sont ensuite montées par des équipes de trois employés en un temps très rapide : il sort un serveur toutes les 2 minutes et 30 secondes.

Les employés travaillent 7 heures par jour et se répartissent les rôles. Le dernier, censé effectuer un premier test du serveur sous tension et sur un réseau interne, contrôle le travail des deux autres. Ensuite, les serveurs sont installés sur une autre machine, pour tester cette fois-ci leur fonctionnement avec le watercooling (refroidissement liquide).

“La situation est très tendue”

Souvent présentée comme l’entreprise aux méthodes “artisano-industrielles”, OVHcloud depuis plus d’un an, a replongé dans une situation de la débrouillardise à cause de la pénurie des composants et de la guerre en Ukraine. “Nous organisons un meeting chaque semaine, pour mettre à jour la liste des composants en pénurie. Nous cherchons à définir les points critiques d’approvisionnement que l’on voit arriver”, nous confiait le directeur de l’usine. “La carte mère est la pièce avec laquelle nous avons le plus de difficulté — et c’est pourtant l’élément central”, ajoutait-il. Pour parvenir à limiter la hausse des délais, ses équipes ont cherché à multiplier les relations avec d’autres fournisseurs, quitte parfois à devenir leur bras droit et les aider à prendre des décisions qui leur permettront de reprendre la production.

“Ce sont des éléments qui posent problème dans toute l’industrie. Mais il est vrai qu’en ce moment, la situation est très tendue”, reconnaissait Guillaume Hochart. Pour nous donner un exemple, il nous parlait du cas de figure d’un fournisseur de switches (une multiprise Ethernet). Du jour au lendemain, sans capacité pour OVHcloud de s’en protéger, les délais de commandes étaient passés de 26 à 52 semaines. Par le biais de négociation, d’entraide — et d’une capacité de débrouille — OVHcloud arrivait à l’aider pour lui faire raccourcir le délai à entre 26 et 36 semaines. Heureusement, l’usine québécoise, qui était devenue une usine secondaire, lui permettait de réceptionner de nombreuses pièces indisponibles suffisamment tôt en Europe. “Nous avons réglé de nombreux problèmes logistiques grâce à notre site canadien”, nous confiait-on chez OVHcloud.

OVHcloud Roubaix datacenter
Derrière ces murs, le datacenter de Roubaix 8 © Presse-citron

À Roubaix 8, le tabou de Strasbourg

Une grande partie des serveurs assemblés à Croix termineront leur chemin six kilomètres plus loin, au sein du datacenter OVHcloud de Roubaix. Guillaume Hochard, dont le rôle s’arrête ici, nous fait faire la rencontre de Jean-Baptiste Daoudal, directeur des opérations dans les différents centres de données de Roubaix. Pour notre visite, OVHcloud a choisi de nous faire présenter son dernier bébé : “Roubaix 8”, lancé en 2020. Il n’a que deux ans et il s’agit du huitième espace à accueillir des serveurs à Roubaix. Sur les 400 000 à travers le monde, 130 000 tournent ici. On le constate très vite par la chaleur qui se dégage et le bruit qui y règne. Une fois encore, l’Internet immatériel laisse la place à un spectacle de taille. Les couloirs sont constitués de plusieurs “baies”, contenant des racks où sont installés 16 serveurs au total. Chacun nécessite une alimentation entre 500 et 850 W, mais certains demandent encore plus de ressources.

Si les mesures de sécurité étaient importantes à l’usine de Croix, elles le sont d’autant plus ici. Roubaix 8, comme les sept autres bâtiments du datacenter, nécessite une pesée en entrant et en sortant du bâtiment. Chaque salle, chaque secteur, chaque couloir nécessite des autorisations pour passer. Tous les badges n’ouvrent pas toutes les portes. La surveillance est partout, entre les caméras, les capteurs de mouvements et les capteurs d’humidité. Pas question de nous laisser prendre de photo. Personne n’y est autorisé. Et là où les salariés de l’usine ne se présentaient qu’en journée, tournent ici 80 personnes en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. “Ces personnes sont des responsables de la sécurité mais aussi des magasiniers, pour la maintenance et les demandes de modification des clients sur leur serveur”, nous expliquait Jean-Baptiste Daoudal.

La surveillance est partout, entre les caméras, les détecteurs de mouvements et les capteurs d’humidité

OVHcloud serveurs stock
Un ensemble de serveurs © Presse-citron

La chaleur est importante, mais “elle est stable, tout au long de l’année”, ajoutait le responsable. Pour des raisons économiques, depuis 2006, OVHcloud a laissé tomber l’air climatisé pour cibler le refroidissement liquide sur les composants des serveurs exclusivement. C’est avec le système d’aération et le circuit de watercooling que le tout est régulé. Pour signaler un problème, des milliers de petites lumières brillent sur chaque machine. Mais Giovanni Robache, responsable de l’équipe d’exploitation du datacenter nous prévenait : “la plupart de la surveillance est de l’ordre logiciel”. En cas de panne d’électricité, des batteries d’une autonomie de 20 à 25 minutes sont prêtes à tout moment pour prendre le relais de l’alimentation. Et huit groupes électrogènes, capables de démarrer en 2 minutes, sont aussi disponibles si une panne s’éternisait. Pour l’heure, Giovanni Robache nous précisait qu’ils n’avaient jamais eu besoin de s’en servir mais que des tests étaient effectués chaque mois.

Le pire épisode de l’histoire de l’hébergeur français

Le bruit constant du fonctionnement des serveurs s’oppose ici au silence des équipes, sur le cauchemar de l’incendie à Strasbourg. Dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, entre 12 000 et 16 000 clients OVHcloud voyaient leurs serveurs partir en fumée dans ce qui allait devenir le pire épisode de l’histoire de l’hébergeur français. Depuis, en France, les appels d’offres des plus gros clients ont radicalement serré la vis sur les exigences de sécurité. Bien plus d’assurances sont demandées et les bâtiments doivent répondre à des critères de fonctionnement tels que les certifications APSAD. À l’heure de tous ces changements, les sites de Roubaix étaient pointés du doigt. Bureau Veritas publiait en juin 2021 un rapport alarmant sur la sécurité des infrastructures des datacenters. La société spécialisée dans la certification et l’inspection soulevait plusieurs soucis, entre des besoins supplémentaires en débit sur les poteaux incendie, une voie d’échelle sur le site de Roubaix 4 et la nécessité de sortir les batteries des bâtiments où se trouvent les serveurs. Coût de l’investissement : 2,8 millions d’euros.

Dans l’attente de plus amples précisions et d’une feuille de route détaillée pour la suite, le personnel d’OVHcloud met l’accent sur le déclenchement du plan “hyper résilience”. Les responsables nous confirmaient qu’ils avaient bien suivi toutes les demandes de mise en conformité nécessaires aux critères actuels. Mais du changement dans les normes juridiques aura lieu avant la fin de l’année, ajoutant de nouvelles obligations à OVHcloud. Jean-Baptiste Daoudal citait un système de détection et de déclenchement automatique de sécurité qui équipera le site “d’ici un mois”. Plus d’un an après l’incendie de Strasbourg, l’équipe disait que ces travaux étaient avant tout motivés par la satisfaction client que par une pression réglementaire ou pour les assurances. Le plan de résilience doit aussi emmener OVHcloud a ouvrir des centres de données de “backup” à Paris, pour héberger les copies des données des clients en cas d’incident. Mais à ce jour, aucune date n’a été communiquée sur l’ouverture de ces sites.

OVHcloud serveurs Croix
Les “racks”, dans lesquels OVHcloud insère ses serveurs. Ici à Croix, dans la zone de réception des composants © Presse-citron

La responsabilité de “voir plus grand”

La pression sur les défis techniques ne s’estompera pas de si tôt alors qu’OVHcloud souhaite aller plus loin. Déjà deux nouveaux datacenters – Roubaix 9 et Roubaix 10 – sont en construction sur le site historique de la société. Mais cotée en Bourse à 3,7 milliards d’euros, elle est une fourmi face à Google et Amazon. Pour continuer à grandir, il faudra cumuler les défis techniques aux défis numériques. Le plus important, dans les années suivantes, sera immatériel. Il s’agira de formations, d’accompagnement de nouvelles startups (via le Campus OVH), et de la recherche et développement dans l’intelligence artificielle, le cloud computing, et l’Internet des Objets.

Le plus important, dans les années suivantes, sera immatériel

Une responsabilité qui en entraînera une autre : celle de faire réussir le territoire, où l’activité locale a permis la création de 930 emplois. Une fierté pour la famille Klaba, mais aussi une pression par l’image et les politiques. “Ils ont réussi une aventure formidablement importante, et leur choix a été de la réussir en France. Cette réussite, je suis venu la saluer car elle montre que quand on y arrive et qu’on décide de faire réussir le territoire d’où l’on vient, c’est encore plus formidable”, disait Emmanuel Macron. Entrera aussi en jeu la pression d’être le seul acteur français en lice pour devenir le garant de la souveraineté des données numériques, capable d’offrir les services informatiques aux États sans dépendre de services étrangers.

Toute une multitude de défis qu’OVHcloud devra franchir seul — attendu au tournant par toutes ses parties prenantes. La société a enregistré des pertes de 32 millions d’euros en 2021, marqué par le coût de son incendie à Strasbourg et ses investissements. Mais pour Octave Klaba, le plus important sera culturel. Il en faisait déjà l’observation lors du salon de l’entrepreneur 2018. “Les entrepreneurs américains ne pensent pas juste à survivre. Ils pensent tout de suite à comment ils pourraient avoir le monde entier. Il y a une grosse différence avec l’Europe et la façon dont raisonnent les entrepreneurs que nous sommes. Tout l’ensemble de l’écosystème européen est fait pour protéger, pour se prémunir et pour éviter. Il n’est pas fait pour prendre des risques et faire de nouvelles choses. Culturellement, nous aurons toujours une défaillance”.

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