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Gama Space : “nous partons explorer l’espace sans carburant ni électricité”

Après 18 mois sous les radars, la startup française a choisi Presse-citron pour annoncer une levée de fonds et une première mission pour octobre. Entretien avec son cofondateur.

De l’ombre à la lumière. À Paris, la startup Gama Space vient de sortir d’une période de 18 mois sous le radar. Ce mardi 22 mars, elle lève le voile sur son nom, mais également sur la conception d’une nouvelle technologie très prometteuse du deep space. Avec sa dizaine d’ingénieurs, elle annonce une première levée de fonds de 2 millions d’euros. Objectif : préparer sa première mission planifiée pour octobre.

Ses investisseurs, Bpifrance et le CNES (Centre national d’études spatiales), ont été conquis par sa conception de voile solaire et ses avancées dans la propulsion photonique. Une technologie idéale sur le papier pour coller à l’exploration spatiale sans carburant ni électricité. La France, selon Gama Space, est un eldorado pour se lancer.

Louis de Gouyon Matignon, Thibaud Elzière (le serial entrepreneur derrière eFounders) et Andrew Nutter, à l’origine de Gama Space, ont choisi Presse-citron pour en parler. Qu’il s’agisse de la technologie de voile solaire ou du sujet de l’exploration spatiale, la startup française se différencie de nombreux projets du New space qui nous a longtemps habitué à rester cantonné à l’orbite basse terrestre.

“On parle de distance comme pour aller photographier Vénus ou s’approcher d’un astéroïde, voire d’atteindre Neptune, la planète la plus éloignée du système solaire”, nous disait Louis de Gouyon Matignon, dans un entretien que voici.

Gama Space mission 2022
Le logo de Gama Alpha, la première mission de la startup française Gama Space cette année © Gama Space

Presse-citron : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter le projet Gama ? Dans l’ombre depuis 18 mois, comment est née la startup ?

Louis de Gouyon Matignon : Au cours de l’année 2020, j’ai terminé ma thèse sur la thématique du droit de l’espace. J’étais tombé par hasard sur une émission de France Culture où je découvrais la technologie de la voile solaire. Pour approfondir sur le sujet, j’avais rencontré des personnes de l’association U3P (Association pour la Promotion de la Propulsion Photonique ndlr). Avec Jean-Yves Prado et Alain Perret, qui faisaient partie de ses membres, j’ai publié un ouvrage.

Pour pouvoir me lancer dans un projet entrepreneurial, ces mêmes personnes m’ont mis en relation avec Thibaud Elzière (le deuxième cofondateur de Gama ndlr), qui vingt ans plus tôt réalisait un stage au sein de l’association. Serial entrepreneur avec eFounders, il est aussi un grand passionné du spatial et je lui ai proposé de se lancer dans un nouveau projet sur la voile spatiale et la propulsion photonique. Il était très motivé.

À l’été 2020, nous avons co-créé ensemble la société Gama. Elle a officiellement été lancée en octobre, mais depuis, nous sommes restés sous les radars. Nous avons rassemblé une petite dizaine d’ingénieurs et nous travaillons depuis Paris. En octobre prochain, quand la société aura deux ans, nous réaliserons notre première mission.

Chez Gama, nous fabriquons des voiles solaires. Il s’agit d’une méthode de propulsion pour les satellites, remplaçant les moteurs à propulsion chimique ou électrique. Nous n’avons pas besoin d’emporter de carburant, car nous utilisons les rayons du soleil pour propulser l’engin dans l’espace. Nos satellites sont donc beaucoup plus petits qui coûtent beaucoup moins cher. À savoir que dans l’espace, ce qui coûte cher, c’est la masse.

À savoir que dans l’espace, ce qui coûte cher, c’est la masse

Presse-citron : À vous entendre, il s’agit du système de propulsion parfait à utiliser. Pourtant aujourd’hui aucune sonde ne fonctionne avec une voile solaire. Comment vous expliquez que cette technologie soit aussi peu développée ?

Louis de Gouyon Matignon : Son concept a plusieurs décennies déjà, mais il est loin d’être très développé. En réalité, c’est une technologie qui vient tout juste de naître. Depuis 1957, sur plus de 10 000 satellites lancés, seuls 5 satellites équipés d’une voile solaire ont été lancés. En près de 70 ans, c’est un ratio très faible.

Développer la technologie est plus pertinent aujourd’hui, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, les coûts pour accéder à l’espace ont baissé. Les entreprises comme SpaceX offrent des lancements plus accessibles, notamment sur l’orbite basse. Les lancements sont mutualisés et le coût d’un lancement est ainsi divisé entre toutes les entreprises qui s’invitent à bord de chaque lanceur.

La deuxième raison concerne la miniaturisation et la standardisation de tous les composants satellitaires. Avant, les satellites faisaient la taille d’une machine à laver. Maintenant, ils font la taille d’une bouteille de vin. Or une voile solaire a besoin d’emporter des satellites de petite taille, d’où le fait que cette technologie soit devenue bien plus pertinente aujourd’hui.

Avant, les satellites faisaient la taille d’une machine à laver. Maintenant, ils font la taille d’une bouteille de vin

En revanche, la voile solaire n’est pas utile pour les déploiements en orbite basse. Les usages des satellites autour de la terre ne sont pas les mêmes que ceux des sondes que nous préparons pour l’exploration spatiale. Pour les satellites d’observation autour de la Terre, pour l’internet des objets ou pour faire la navette vers la Station spatiale internationale, il faut pouvoir faire des manoeuvres précises et immédiates. Pour cela, les propulsions chimiques ou électriques sont les meilleures.

Avec une voile solaire, nous partons faire de l’exploration à des distances bien plus importantes. On parle de distance comme pour aller photographier Vénus ou s’approcher d’un astéroïde, voire d’atteindre Neptune, la planète la plus éloignée du système solaire. C’est ce type de missions que nous envisageons. Et c’est là tout l’intérêt de notre technologie. Autour de la terre, notre technologie serait contre-productive.

On parle de distance comme pour aller photographier Vénus ou s’approcher d’un astéroïde, voire d’atteindre Neptune

Presse-citron : Le marché du new space offre surtout des solutions de lancement pour atteindre l’orbite basse. Pour sortir de l’attraction terrestre, avec qui comptez-vous vous lancer ? Le lanceur d’Ariane, qui est plus puissant et qui permet d’aller plus loin plus rapidement ?

Louis de Gouyon Matignon : Ariane est un petit peu chère, mais la Falcon 9 de SpaceX fait de temps en temps des missions d’injection translunaires qui permettront de s’échapper de l’attraction terrestre. Le rythme de ses lancements s’accélérera notamment en 2023-2024, dans le cadre de futures missions lunaires.

On aura sûrement d’autres lanceurs comme Starship ou la Falcon Heavy, ou d’autres qui arriveront sur le marché. Mais déjà, Falcon 9 peut remplir cet objectif. Les missions sont mutualisées et ce “covoiturage” spatial nous permet d’abaisser les coûts en les partageant avec d’autres sociétés à bord du même lanceur.

En termes de clients, nous travaillerons dans un premier temps avec des agences spatiales. Il faut savoir aujourd’hui que SpaceX comme le programme Ariane ont minimum 50% de leurs commandes qui sont d’origine publique. On parle souvent des acteurs privés, mais en réalité la majeure partie des clients de l’espace sont des acteurs publics – des états ou des organismes gouvernementaux. Les sociétés du spatial travaillent avec des clients publics ou semi-publics.

Presse-citron : En termes de technique, concrètement, à quoi ressemble la voile solaire ? Quelle est sa composition et sa taille ?

L.G.M : Notre première voile solaire est un objet qui, plié dans son module, fera la taille d’une boîte à chaussure et pèsera 11 kg. Une fois arrivée dans l’espace, la voile va se déployer grâce à une rotation que l’on va induire au satellite. Comme un yo-yo que l’on aurait enroulé, la voile va se déployer toute seule grâce à la force centrifuge. Elle sera carrée, et consistera en 4 pétales trapézoïdales d’un peu moins de 20 m2 chacun, pour un total de 73,3 m2.

Voile solaire Gama Space
Dans les laboratoires de Gama, une première “pétale” de la voile solaire se dessine © Gama Space

C’est une voile faite en polyamide aluminisé, une sorte de plastique sur lequel nous avons déposé une fine couche d’alumine, d’une épaisseur de seulement 2,5 microns en tout. C’est à dire 50 à 100 fois plus fin qu’un cheveu. On peut la décrire comme une gigantesque couverture de survie, ultra-fine, déployée dans l’espace pour réfléchir la lumière et pousser le satellite.

Pour que vous compreniez, tout notre savoir-faire réside dans la disposition de la voile et de son rangement dans son emplacement. Car la petite boîte du satellite ne doit pas juste loger la voile, ce n’est qu’une portion. À l’intérieur, il y a les instruments embarqués, la radio, et tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement du satellite. J’aime souvent à dire que nous faisons de la “haute couture” dans l’industrie du spatial.

J’aime souvent à dire que nous faisons de la “haute couture” dans l’industrie du spatial

Presse-citron : Comment la voile solaire fonctionne-t-elle ? Comment profite-t-on des rayons du soleil pour faire avancer un satellite ?

L.G.M : Pour faire très simple, la lumière a deux effets. On connaît l’aspect thermique des rayons du soleil, qui nous réchauffent quand on s’y expose. Mais il y a aussi un second effet qui est la poussée. La lumière n’est pas traduite en de l’énergie comme de l’électricité, mais vient simplement rebondir sur la voile.

Comme tout est vide dans l’espace, même si la poussée est toute petite, elle permet d’accélérer et cette accélération véhicule un élan de plus en plus important au fil du temps.

Gama Space satellite
Dans les coulisses de Gama Space, un premier prototype de voile solaire enroulée tel un yo-yo © Gama Space

Presse-citron : De façon théorique, sans prendre en compte les radiations ou les obstacles comme les micrométéorites, jusqu’où peut-on aller pour un projet comme celui de Gama ? Vous avez parlé de Neptune…

L.G.M : En octobre 2022, nous réaliserons notre premier déploiement de voile solaire baptisé Alpha. Un deuxième déploiement arrivera dans un an ou deux, pour faire un test de navigation et de contrôle. Une troisième mission de démonstration arrivera en 2025.

À ce moment, nous aimerions partir vers une planète un peu éloignée. Nous avons identifié Vénus, ou un astéroïde. Nous sommes en négociation avec le CNES qui serait intéressé pour embarquer avec nous. Il pourrait s’agir de notre premier client.

Presse-citron : Quel serait l’avantage de viser Vénus ? Sa proximité avec le soleil ?

L.G.M : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, en réalité, il nous est compliqué de nous approcher du Soleil. Ses rayons nous en éloignent. Il faut encore plus jouer sur l’orientation de la voile et la gravité pour pouvoir l’approcher avec une voile solaire. Ce qui nous intéresse avec Vénus, c’est qu’il s’agisse de la planète la plus proche de la Terre, et l’objectif est assez fort et symbolique. Aller vers Mars serait plus complexe et moins facile.

Aller vers Mars serait plus complexe et moins facile

Gama startup Louis de Gouyon Matignon
Louis de Gouyon Matignon, en visio-conférence lundi 21 mars 2022 © Presse-citron

Presse-citron : Vous venez de lever 2 millions d’euros avec Bpifrance et le CNES. Grâce à votre expérience avec Gama et Toucan Space, pouvez-vous nous dire comment a évolué le financement du spatial en France ces derniers temps ?

L.G.M : Ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est que la France est un eldorado. Et je pèse mes mots. Un eldorado pour les entreprises en recherche et développement dans le spatial. La France a énormément d’opportunités pour les entreprises et il y a beaucoup d’argent disponible. Que ce soit à travers des crédits d’impôt, Bpifrance, le CNES, les appels à projets, le plan France Relance, France 2030… la France assure sur le spatial.

La France est un eldorado pour les entreprises en R&D dans le spatial

En termes d’enveloppes, les montants peuvent varier. Ils peuvent aller de plusieurs centaines de milliers d’euros à plusieurs millions d’euros. Kinéis, en 2020, avait réussi à boucler une levée de 100 millions d’euros avec le Ministère de la Défense. En général, les montants sont en dizaine ou centaines de milliers d’euros pour des startups de notre gabarit et de notre niveau d’avancée.

Presse-citron : Vos missions vont coûter beaucoup d’argent. Comptez-vous aller chercher des investisseurs étrangers pour vos futures opérations de financement ? Est-ce que la France suit une politique pour que des entreprises comme la vôtre restent à capitaux français ?

L.G.M : C’est le sujet du moment. Dans un premier temps, nous voulons rester français d’un point de vue de l’implantation de la société. Il y a de très bons talents ici – les ingénieurs français sont très très avancés, à niveau d’études égal avec les Américains. Les ingénieurs français ont le désir de s’investir dans des startups agiles et nerveuses comme la nôtre. Ce n’est pas pour rien que nous avons pris seulement 18 mois pour devenir les plus avancés au monde sur la voile solaire.

Ce n’est pas pour rien que nous avons pris seulement 18 mois pour devenir les plus avancés au monde sur la voile solaire

En revanche, en termes de diversité du capital, nous recherchons des investisseurs à l’international. Tout simplement, car cela nous ouvrira des portes pour entrer en négociations commerciales ailleurs dans le monde. Nous n’excluons pas le fait d’avoir notre société mère installée en France et une filiale commerciale aux États-Unis d’ici deux à cinq ans.

Presse-citron : D’un point de vue juridique, comment part-on dans l’espace ?

L.G.M : Pour notre première mission, nous n’avons pas eu de difficultés juridiques, car nous avons fait le choix de ne pas être considérés comme opérateur de l’engin spatial. C’est la loi sur les objets spatiaux (LOS) du 3 juin 2008 qui régit de ces opérateurs. Nous avons délégué notre implication juridique avec l’objet spatial à la société qui a fabriqué pour nous le satellite, la société lituanienne appelée NanoAvionics.

Si nous nous étions déclarés opérateur, il aurait fallu compléter un dossier très complexe qui exige beaucoup de garanties et d’assurances sur les finances et le fonctionnement de la société. Nous nous sommes échappés de toutes ces contraintes. Nous voulions avancer vite et nous avions beaucoup de problèmes à résoudre (recrutement, locaux, abonnements, dépenses, fabrication, développement, etc…). Mais pour nos futures missions en 2024 ou 2025, nous serons opérateur au sens du droit de l’espace. Ce sera obligatoire.

Presse-citron : La course de l’espace s’assimile à une course contre-la-montre d’un point de vue financement. Combien de missions vous faudra-t-il avant d’envisager une commercialisation ? Quels seront vos clients ?

L.G.M : C’est à partir de 2025 que nous aurons nos premiers clients. Cela pourrait être le CNES. Mais nous ne savons pas encore combien de voiles solaires nous pourrons produire chaque année, car l’industrialisation est un passage assez difficile pour une société. En tout cas, c’est à partir de ce moment que nous commencerons à produire des voiles solaires en série. Et ce pour de plus en plus de missions.

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