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Les biotech se sont enflammées. Puis les scientifiques ont parlé

La course au vaccin du COVID-19 enflamme le cours des sociétés de biotechnologie. Mais la confusion s’installe entre motivations commerciales et la réalité médicale.

Il est français, s’appelle Stéphane Bancel, et il est à la tête de la société de biotechnologie new-yorkaise Moderna Therapeutics. Depuis le mois de mai, le cours en bourse de sa biotech s’est envolé en raison de l’engouement des investisseurs pour son travail dans la recherche d’un vaccin pour le COVID-19, à l’image de quelque 165 prétendants dans le monde à chercher à détenir le Graal, pour déployer leur solution à la crise sanitaire mondiale.

En parallèle à la forme olympique des GAFA, les biotech ont pris le contrôle sur le cours des différents indices de Wall Street. Un engouement vu comme un emballement d’indications trop précoces par les scientifiques, qui haussent de plus en plus la voix pour signaler une réalité médicale bien différente. Objectif : dénoncer les motivations commerciales et politiques, en prônant la coopération mondiale par la standardisation des tests.

Autant de vaccins candidats que de protocoles de tests

La communauté le souhaite de tout cœur : pour arriver à un développement fiable et rapide, il est primordial d’effectuer des tests standardisés. Or dans la réalité actuelle, les biotech évoluent bien différemment. Le professeur de microbiologie et d’immunologie à la faculté de médecine de l’Université Cornell John Moore mentionne que les vaccins candidats sont aussi nombreux que les protocoles de tests qui en découlent à ce jour. « Je ne crois pas que les nombres d’anticorps neutralisants rapportés actuellement aient une valeur significative », déclarait le spécialiste, à Fortune.

En substance, les tests effectués prennent un échantillon de population (plus ou moins élevé selon la phase d’avancée du protocole), puis donnent à la moitié la dose du vaccin à tester, et à l’autre un placébo. Pour vulgariser et permettre de bien comprendre, ils mesurent ensuite la différence du niveau d’anticorps pour déterminer la pertinence du vaccin. Plus alarmiste sur la question, un spécialiste de l’organisation à but non lucratif Human Vaccines Project s’inquiétait que les différentes biotech puissent effectuer leurs tests jusque dans leurs propres laboratoires. « Cela offre toutes les occasions de faire la promotion d’un candidat et de faire croire qu’un vaccin est meilleur qu’un autre vaccin, alors qu’en réalité nous n’avons pas les données pour arriver à ces conclusions », disait-il.

Leçon du passé : le besoin d’un test standard

Dans la très complète étude publiée par le site Fortune, les deux spécialistes interrogés ont rassemblé leur voix en prenant note des problèmes rencontrés dans d’autres recherches médicales. La diversité des tests pesait déjà sur la recherche contre le VIH, responsable du SIDA, si bien qu’il s’agit de l’un des freins les plus importants au développement du vaccin. Ils ajoutaient que les dernières avancées, entraînées par l’investissement massif de la fondation Bill & Melinda Gates, avaient entre autres permis de rassembler les recherches vers un test standardisé, accessible à tous les vaccins candidats.

L’alarme est portée jusqu’à la tête de l’Organisation mondiale de la santé. Son directeur, le Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait pris la parole sur le sujet le 19 août dernier avec un message clair : « Nous devons empêcher le nationalisme vaccinal » disait-il, après avoir annoncé que « le nationalisme d’approvisionnement a exacerbé la pandémie et a contribué à l’échec total de la chaîne d’approvisionnement mondiale […]  Ce n’est pas de la charité. Nous avons appris à nos dépens que le moyen le plus rapide de mettre fin à cette pandémie et de rouvrir les économies est de commencer par protéger les populations les plus exposées partout, plutôt que l’ensemble des populations de quelques pays seulement », un discours faisant écho avec l’absence de coopération pendant la première vague de l’épidémie.

Course politique et envolée boursière

Bien plus médiatisé que la parole scientifique, les mouvements boursiers des différentes biotech font débat. Les candidats qui ont accédé à la phase III des tests, vue comme une « phase finale » mettant en position de favorites les sociétés en question, sont un message fort des politiques à l’international. Moderna Therapeutics et AstraZeneca aux États-Unis, face à CanSin Bio en Chine. L’Allemand BioNTech, indépendant jusqu’alors, s’est très rapidement fait rejoindre par les États-Unis qui ont investi à hauteur de 1,95 milliard de dollars pour s’assurer 100 millions de doses de son potentiel vaccin.

Mais d’un autre côté, les sociétés de biotechnologies ont pu profiter des places boursières pour lever des fonds. Le 18 mai, lors de l’annonce de Moderna quant à ses « premiers essais concluants », son PDG Stéphane Bancel rapportait à la radio RTL que l’envolée leur avait permis « en quelques heures de lever plus d’un milliard de dollars pour préparer la fabrication, acheter des matières premières dès 2021, y compris pour le marché européen grâce à son accord avec une entreprise suisse ». Depuis, l’action de Moderna est redescendue de son pic, de 80 à 69 dollars. Mais les perspectives sont bonnes : Bruxelles a indiqué lundi 24 août avoir commandé 80 millions de doses de vaccin, une discussion qui se concrétisera en cas de retours positifs sur la phase III des tests de la société.

Moderna stock
© Google

Bad buzz chez Moderna, à l’abri des médias

Mais la réalité à très vite rattrapée Moderna. Le 23 mai, cinq jours après sa séance brillante sur le NASDAQ, la biotech s’est attiré les critiques de la « Gray Lady ». Le New York Times avait publié un papier très critique sur la façon dont la société avait caché son offre d’actions, qui lui avait effectivement permis de lever des fonds. « Cette offre n’avait pas été mentionnée dans les séances d’information de Moderna aux investisseurs et aux journalistes ce matin-là, et le président de la société a déclaré plus tard qu’elle n’avait été décidée que durant l’après-midi » écrivaient conjointement les journalistes Katie Thomas et Denise Grady.

Dans la foulée, d’autres médias s’étaient mis vent debout pour dénoncer un cas particulier résultant d’un problème bien plus global. L’ironie d’une industrie de biotechnologie plus industrielle que sanitaire, cherchant à s’attirer le regard d’investisseurs spéculatifs croyant « à un remède miracle dans un laps de temps miracle », disait David Maris, directeur général de Phalanx Investment Partners et analyste de longue date couvrant l’industrie pharmaceutique. Le lendemain de l’annonce des « premiers essais concluants pour Moderna », aucun commentaire de l’organisme gouvernemental réalisant ces essais ne parut dans la presse ou dans des revues spécialisées.

Moderna Therapeutics biotech
Des locaux de la biotech Moderna © Moderna Therapeutics

Entre espoirs et incertitudes

Tout n’est pas tout noir pour autant, et le bras de fer entre business et médecine se dispute jusqu’à la tête des États. Face à un Trump ayant tendance à vouloir précipiter le calendrier en vue des élections présidentielles du 3 novembre prochain, l’organisme fédéral de la Food and Drug Administration (FDA) continue de prendre le temps de superviser les recherches de façon pérenne. Le programme Warp Speed américain, sur lequel le président met la pression, s’organise actuellement pour centraliser les tests dans un programme au sein d’un seul et unique laboratoire.

Le travail devrait être achevé “dans les prochains mois, ou plus tôt”, annonçait John Mascola, responsable de la recherche sur les vaccins pour l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, qui a contribué à la mise en place de l’opération Warp Speed. Un programme qui ne dépassera malheureusement pas les frontières, dans un contexte où les États-Unis ont quitté l’OMS le 7 juillet dernier, après avoir été les plus gros bailleurs de fonds de l’agence spécialisée sous l’égide de l’ONU à Genève.

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