Selon une vieille croyance populaire, fêter son anniversaire en avance porterait malheur. L’année suivante serait alors jalonnée d’une succession de catastrophes et de déconvenues. Tout porte à croire que Xiaomi et Leica ne s’embarrassent pas de telles superstitions.
Pour célébrer en grande pompe l’arrivée de leurs premiers produits sur le Vieux-Continent, les deux entreprises ont invité une poignée de journalistes en février dernier à Wetzlar. Au premier abord, ce choix pourrait paraître curieux. Pourquoi donc convier la presse dans une ville allemande de 50 000 habitants inconnue du grand public ? On vous raconte.
Wetzlar, fief historique de Leica
Charmante et dans son jus. Au premier abord, Wetzlar ressemble à n’importe quelle ville moyenne de l’ouest de l’Allemagne. Une place centrale avec une imposante église gothique, un dédale de rues commerçantes surplombé par des maisons à colombage et ici et là, quelques Biergarten disséminés le long de la Lahn, la rivière qui traverse la ville.
Derrière le côté paisible et pittoresque de cette commune de 50 000 âmes se cachent en réalité trois fiertés locales. Pour les découvrir, il suffit d’engager la conversation avec quelques autochtones.
La première est sportive. La totalité des bars du coin affichent fièrement sur leurs devantures les couleurs rouge et blanc du club de foot de l’Eintracht Francfort. Plutôt logique, puisqu’à peine 40 minutes de voiture séparent Wetzlar de sa grande sœur.
La deuxième est culturelle. C’est dans une maison bourgeoise du centre-ville, désormais transformée en musée, que le poète allemand Goethe aurait commencé son célèbre roman, « Les Souffrances du jeune Werther ».
La troisième fierté est presque mystique. Une sorte de ville dans la ville. Bienvenue au Leitz Park, maison mère du géant de la photo Leica. Du béton, du verre et des courbes. Une usine, un siège social, un musée, un hôtel, une salle d’exposition. Le Leitz Park est tout à la fois. Plus de 27 000 m2 de surface qui sert d’épicentre créatif et productif à la marque et de lieu de pèlerinage pour les mordus de photo du monde entier.
Si Xiaomi nous a conviés chez son partenaire, ce n’est pas simplement pour admirer les plus belles reliques photographiques du constructeur allemand. C’était également l’occasion de visiter la manufacture de Leica dans laquelle une vingtaine d’ingénieurs travaillent à plein temps au développement photo sur smartphone.
Photo sur smartphone, haro sur certains clichés
Cela n’a pas dû vous échapper. Depuis déjà de nombreuses années, de grands acteurs européens de la photo ou de l’optique collaborent avec des marques chinoises. Ce fut évidemment le cas de Leica avec Huawei avant de passer sous pavillon Xiaomi. C’est également celui de Zeiss avec Vivo et d’Hasselblad avec Oppo. Bien souvent d’ailleurs, il suffit d’évoquer l’étiquette « conçu en partenariat avec » pour déchainer les passions.
Les plus suspicieux d’entre nous ont un avis bien tranché. Ces collaborations ne seraient qu’une histoire de gros sous. Ces partenariats n’apporteraient finalement pas grand chose hormis une petite pastille rouge derrière un smartphone. En somme, du « bullshit marketing ».
Ne soyons pas naïfs, les constructeurs chinois cherchent dans ces partenariats une légitimée photographique pour mieux séduire les consommateurs européens. Mais ce n’est pas tout. Les marques de photo y trouvent également leurs comptes. Quel serait l’intérêt pour Leica de décrédibiliser son image en s’adossant à un produit de piètre qualité ?
Les plus crédules d’entre nous, à l’inverse, pourraient croire que si les marques chinoises opèrent de tels rapprochements, c’est nécessairement qu’elles sont incompétentes en photo et en optique. En gros ici, c’est Leica qui fait tout. Là aussi, la prudence est de rigueur.
Comme pour la construction d’un avion, la conception d’un smartphone nécessite de faire appel à de nombreuses entreprises. Ces « sous-traitants » divers et variés fournissent des batteries, des capteurs ( Samsung, Sony, Omnivision), des SoC (Qualcomm, Mediatek…)… Chacun de ces intervenants dans la chaîne de production contribue de par son expertise à la réalisation d’un smartphone.
En travaillant de concert, Leica et Xiaomi interviennent donc sur le volet photographique. Maintenant que cette vérité est établie, que tout le monde fait bien quelque chose, il convient de comprendre la manière dont se répartit ce travail. Autrement dit, quel est le périmètre d’activité des ingénieurs de Leica auprès de Xiaomi ?
Leica, le chef d’orchestre photographique de Xiaomi
D’emblée, évacuons un aspect essentiel. : les marques de photo ne jouent pas un rôle de manufacturier pour les constructeurs de smartphones. Pour faire simple, Leica ne fabrique pas d’optique pour Xiaomi. Cela pourrait presque paraître paradoxal pour un expert dans ce domaine.
Comme vous le savez, le hardware d’un appareil photo et d’un smartphone n’ont pas les mêmes contraintes techniques. Il faut faire des concessions, car on ne transpose pas l’un dans l’autre.
Par exemple, pour des questions de coûts et de compacité, le Xiaomi 13 Pro utilise des lentilles en plastique transparent, comme la quasi-totalité des smartphones. Leica ne possède pas d’expertise en la matière, l’allemand ne concevant pas ce type de lentille. Pour se procurer ce matériel, Xiaomi se tourne vers un fabricant asiatique, Sunny Optical Technology, qui travaille également avec Samsung.
Dans ce partenariat, Leica joue plutôt un rôle de chef d’orchestre qui intervient sur plusieurs niveaux. En amont, il est d’abord une sorte de consultant. En fonction des désirs de Xiaomi, un audit est réalisé afin de définir un cahier des charges du bloc photo. Choix des capteurs, conceptions et design des optiques, sélection des technologies d’imagerie… Rien n’est laissé au hasard nous a expliqué de manière informelle Marius Eschweiler, vice-président business unit mobile chez Leica :
Sur le Xiaomi 13 Pro nous avons voulu opter pour un téléobjectif 75 mm avec lentille flottante. En nous inspirant de notre emblématique objectif Noctilux-M 75 f/1,25 ASPH, nous avons voulu donner le plus de liberté possible aux portraitistes avec différentes focales pour s’adapter à chaque situation (35 mm en N&B, 50 mm, 75 mm et 90 mm). Autre exemple, la photo macro est trop souvent un parent pauvre, du coup avec Xiaomi, nous avons décidé de proposer cette prise de vue à partir de l’ultra-angle et du téléobjectif. Toutes ces décisions sont le fruit d’une concertation entre ingénieurs.
Pourquoi associer une optique de 23 mm composée de 8 lentilles au capteur principal ? Pourquoi adopter une longueur focale de 14 mm sur l’ultra grand-angle ? La conception d’un module photographique sur smartphone est un art des détails qui nécessite des choix.
Une fois cette première étape terminée, Leica enfile un nouveau costume, celui de coordinateur. L’allemand se charge d’échanger et de dialoguer avec l’ensemble des fournisseurs afin de connaître les marges de manœuvre possibles vis-à-vis du précédent cahier des charges. Par exemple, la puce fournie par Qualcomm ou Mediatek est-elle assez puissante pour aller à tel niveau de traitement d’image ?
Ensuite, l’expertise du fabricant allemand est déterminante lors des phases de test qualité. Les ingénieurs vont alors vérifier si l’ensemble des capteurs répondent aux standards du cahier des charges. Lors de cette étape, des modifications peuvent avoir lieu afin de régler des problèmes d’aberrations chromatiques ou de distorsion.
Dernière étape, et non des moindres, l’allemand se pare de ses plus beaux habits pour accompagner Xiaomi : le développement de softwares et de l’expérience utilisateur.
L’optimisation logicielle, le nerf de la guerre
Traitement d’image par IA, puissance accru du processeur de rendu de l’image, ajustements colorimétriques logiciels… Si depuis quelques années nos smartphones sont de plus en plus doués en photo, c’est avant tout (et surtout) grâce aux avancées logicielles. Sauf que ces fameux algorithmes de traitement ne sont pas les mêmes partout. Il faut veiller à l’apprentissage de l’IA, car c’est ce dernier qui va donner une patte, une griffe, un style particulier aux photos.
Hautement importants, ces choix logiciels vont avoir une répercussion esthétique en matière de micro-contrastes, de photo de nuit, de balance des blancs, de gestion du bokeh… Lors de notre test du Xiaomi 13 Pro, nous avons par exemple était bluffés par le mode de prise de vue « authentic » du smartphone. Il se rapproche plus du rendu d’un appareil photo que d’un smartphone, notamment dans l’appréciation plus neutre des couleurs.
eBayUn partenariat gagnant-gagnant ?
Pour se rendre compte à quel point ces optimisations logicielles jouent un rôle déterminant en matière de photo sur smartphone, il suffit de jeter un œil vers les références du marché. Pendant des années, Google et Apple se sont contentés d’un « simple » capteur principal de 12 mégapixels. De son côté, Samsung n’a jamais non plus joué dans la surenchère avec des effets d’annonces de capteur à 200 Mpxl (à quelques exceptions près).
Très rapidement, ces mastodontes de la tech ont compris l’importance des algorithmes. Dans notre test du Pixel 7a, nous insistons sur l’excellente qualité des clichés capturés. Le smartphone développé par Google ne dispose pas des derniers capteurs en vogue, pourtant il est capable de rivaliser avec les meilleurs du marché pour un prix deux fois inférieur. Tout cela grâce à une optimisation logicielle aux petits oignons.
Pour autant, il paraît inconcevable d’imaginer Apple ou Samsung en partenariat avec un fabricant photo. Contrairement aux constructeurs chinois, ces géants ont un historique et donc une expérience plus aboutie en la matière. Une marque comme Xiaomi est plus jeune et a besoin de plus de légitimité photographique pour pénétrer et être crédible sur le marché européen. Et c’est sans parler de l’armée d’ingénieurs maison dont disposent Apple et Samsung.
Et pour Leica ? En plus de rapporter de l’argent, ce partenariat permet à l’allemand de faire rayonner son image auprès d’une population qui n’est pas sa cible principale : le grand public. Avec en filigrane un dessein artistique : apporter une certaine culture de l’image dans le monde des smartphones.
Côté Xiaomi, on affirme en tout cas que cette collaboration avec Leica se veut durable et profonde. Malgré plusieurs demandes, et sans surprise, aucun calendrier ni chiffres ne sont communiqués à ce sujet.
Alors que retenir de cette première année ? Durant notre test du Xiaomi 13 Pro, nous avons constaté une réelle valeur ajoutée sur la partie photographique. Tout n’était pas parfait, mais ce n’était qu’un premier essai. Sans vouloir porter malheur à Xiaomi en tirant des plans sur la comète, tout porte à croire que cette expérience photographique risque bien de se bonifier avec le temps.
Et ce n’est pas notre petit doigt qui le dit, mais l’Histoire. Depuis quelques années Huawei arrive souvent en tête du classement DxOMark (une référence en matière de photo), comme c’est le cas actuellement avec le P60 Pro. Malgré sa situation compliquée sur le marché des smartphones, de nombreux experts, nous les premiers, sont formels : Huawei possède désormais un savoir-faire indéniable en photo. Et son ancien partenaire Leica n’y est sans doute pas pour rien.
📍 Pour ne manquer aucune actualité de Presse-citron, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.
La qualité est de haut niveau