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Social cooling : Le Big Data Fait-il de Nous des Robots ?

Êtes-vous frappés par le “refroidissement social” ? Explications sur ce nouveau phénomène.


Article rédigé par Sélim Niederhoffer, coach social & cool .
Cet article s’inscrit dans notre rubrique “Paroles de Pros” dans laquelle des acteurs réputés du numérique prennent la parole sur des sujets liés à l’impact d’internet et des nouvelles technologies sur nos modes de vie.
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Le refroidissement social est un phénomène en ligne qui vous affecte probablement. Avez-vous déjà repris un tweet trois fois pour le rendre plus politiquement correct ? Avez-vous déjà publié un statut enragé sur Facebook et l’avez-vous supprimé dans la foulée pour ne pas laisser de traces aux yeux de Facebook et des géants du Net ? Vous êtes-vous déjà abstenu de liker ou de partager publiquement des statuts, des pages, des infographies ou des vidéos pas vraiment « politiquement correctes » ?

Si oui, vous êtes victime de social cooling, ce « refroidissement » social qui empêche les débats de s’enflammer (et la révolution d’éclater ?)

Social cooling : une définition

L’entrée en la matière de la page française de Social cooling est parfaite : « Si vous vous sentez observé, vous changez de comportement. Le Big Data amplifie cet effet à l’extrême. Cela peut limiter votre désir de prendre des risques ou d’utiliser votre liberté d’expression. A plus long terme cette limitation de la communication peut entraîner un « gel » de toute une société. »

Pour mieux comprendre cet effet de contrôle, je ne peux que vous recommander de regarder l’épisode Nosedive (S03E01) de Black Mirror où toutes nos interactions sociales sont notées afin de policer le plus possible la société pastel. Pas un mot plus haut que l’autre. Pas de rébellion. Tous dans le rang, comme des moutons, et gare à ceux qui oseraient enfreindre la dictature de la bien-pensance.

Car c’est un effet bien connu de tous les commerçants et épiciers de quartiers qui installent des miroirs ou des caméras (même inactives) dans leurs échoppes : si vous vous sentez observé, vous changez de comportement. Le Big Data amplifierait cet effet à l’extrême en nous forçant de manière insidieuse à tempérer nos réactions en ligne, en nous faisant réfléchir à nos recherches internet aussi.

En clair : notre liberté d’expression est menacée parce qu’on est au courant que nos données sont publiques.

D’où vient le concept de social cooling ?

Théorisé par le chercheur hollandais Tijman Shep, le concept de refroidissement social a été popularisé sur Reddit et repéré en France par France Culture. Il a désormais son site internet très complet, Social Cooling www.socialcooling.com/fr/.

Comprendre comment fonctionne le social cooling

Le site étant très bien fait, nous allons utiliser des copies d’écran.

Etape 1 : la collecte des données

Voici comment fonctionne le « Big Data » : vos données sont collectées. Sur Facebook, Twitter, Google, Amazon, Linkedin : vous laissez des traces digitales, vous communiquez des informations comportementales. Vos hashtags, vos likes, les groupes sur lesquels vous passez du temps sont autant d’informations que vous « donnez ».
Idem quand vous notez un hôtel sur Tripadvisor, quand vous laissez un avis sur Airbnb ou que vous attribuez une note à un film sur Allociné. Ou quand en tant que chauffeur Blablacar vous notez votre passagère « Elle est vegan ! ».
Cette data est convertie en milliers de notations différentes.

Un exemple de data collectée et analysée ? Une étude intéressante à connaître : « vos photos instagram révèlent votre état mental ».

Etape 2 : vous voyez que tout le monde est noté et que certaines opportunités se ferment à vous si vous ne respectez pas les règles du jeu.

En termes de personal branding, on vous le dit, on vous le répète : être négatif et se plaindre en ligne n’est pas une attitude sexy pour les recruteurs. Si un recruteur tombe sur votre compte twitter ou facebook et qu’il vous voit en train de dénigrer votre employeur actuel, cela vous handicapera. Aux Etats-Unis, pays plus « libéral » sur la collecte de données, certaines banques proposent déjà de meilleurs taux sur les crédits pour ceux qui ont une « bonne attitude » sur les réseaux sociaux. Reste à définir ce qu’est un « bon comportement »… (A lire dans cet article fascinant).

Sachant cela, il est donc logique que vous vous adaptiez aux exigences ce monde de plus en plus transparent et inquisiteur. Car comme le disait Vinton Cerf, Chief Internet Evangelist chez Google, « la vie privée pourrait être en réalité une anomalie ».

Connaissant les nouvelles règles du web et des enjeux pour vous (recrutement, coût de votre assurance en fonction de vos data santé récoltées sur vos montres connectées, obtention ou non d’un prêt…), vous allez désormais faire attention à ce que vous dites en ligne, et à ce que vous laissez voir de vous. Vous pensiez que ces notes n’allaient affecter que votre carrière ? Que nenni… Vos relations sociales aussi et vos relations amoureuses risquent d’en être affectées.

Un exemple récent de social cooling et de normalisation forcée ? Si vous fréquentez les sites de rencontres, vous avez peut-être aperçu une « innovation » de Meetic, le « Meetic badge ». Le Meetic Badge est une « fonctionnalité permettant aux hommes recherchant des femmes de se distinguer grâce à leur investissement et leur courtoisie. En clair ? Les femmes vont pouvoir donner des notes aux hommes et « recommander » tel ou tel prétendant. Comme si toutes les femmes cherchaient le même type d’hommes…

Tous ces badges, tous ces bonus, toute cette data finira par nous conduire à nous conformer à l’image qu’on a de nous en ligne, et à ce que la société veut, en moyenne. Sans faire de vague…

Etape 3 : l’avènement d’une société du conformisme ?

Sortir du rang pourra nous coûter cher, cf BlackMirror S03E01. On entre dans une vraie dictature de la réputation et de l’image : ce n’est plus la pression sociale du groupe autour de vous qui va structurer votre comportement (la peur des voisins, le respect des règles édictées par vos parents et vos amis, les dénonciations à la Stasi par exemple, ou plus actuel, le projet de notes sociales en Chine), mais bel et bien la dictature des notes en ligne.

Dès à présent, les erreurs du passé sont déjà traquées en ligne (je pense aux cas Meklat et Auproux). On observe déjà certains exemples d’auto-censure et de messages dictés par la dictature du bonheur et de la pensée positive.

  • Pourra-t-on encore, à la demande de (feu) Stéphane Hessel, s’indigner ?
  • Pourra-t-on encore exprimer son mécontentement en ligne face à des réformes politiques ou des mesures de gouvernements locaux si l’on se sait surveillé ?
  • Pourra-t-on encore avoir des pensées « marginales », des idées créatrices et potentiellement dangereuses sans avoir peur pour notre avenir ?

Dans certains domaines, les effets du social cooling se font déjà ressentir. Un exemple est donné en médecine, où certains docteurs aux Etats-Unis n’ont plus osé prendre en charge des malades en phase avancée, de peur de dégrader leurs notes, et ainsi passer à côté de nouveaux clients. Patients, pardon…

La page française du social cooling plaide pour un droit à l’erreur et une meilleure prise en compte de l’importance de notre vie privée.

Avez-vous déjà ressenti le social cooling ? Vous êtes-vous déjà restreint tout seul lors d’une recherche Google sur un sujet sensible (maladie, divorce, sexe, addiction, idées politiques, banques et souci de finances, Doctissimo etc…) pour ne pas laisser de trace compromettante ? Les smart devices comme Google Home ou Alexa d’Amazon nous pousseront-ils à devenir de plus en plus transparents et vigilants même chez nous ?

Lectures conseillées pour approfondir le sujet :
• 1984 de George Orwell
• Plaidoyer pour le mensonge de Laurent Lèguevaque
• L’homme nu : La dictature invisible du numérique de Marc Dugain et Christophe Labbé
• The Circle de Dave Eggers
Sélim Niederhoffer, coach social & cool

 

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3 commentaires
3 commentaires
  1. Bonjour, Article très clair qui donne une très bonne définition du social cooling. Il est vrai que nous sommes en pleine mutation sociale de ce qu’est la "normalité". La série Black Mirror citée dans cet article est effectivement un exemple effrayant des avis sur nos habitudes et le conformisme social.A n’en pas douter que le métier de l’E-réputation est "LE" métier de demain.Cédric L.

  2. Bonjour, sujet très interpellant et article très bien synthétisé. J’ai effectivement déjà effacé des post politiques pour éviter d’être jugée par des employeurs qui auraient l’idée de venir faire un tour sur mon profil, ou effacé des coups de gueule lors de graves crises de société ou autres en réalisant que ça ne provoquait aucune réaction contrairement à la photo d’un chaton en tutu ou du dernier match de foot en direct. Quelques soient les époques et les technologies, “du pain et des jeux” le tout saupoudré d’une bonne dose de culpabilisation et de craintes, a toujours et sera toujours le moyen de contenir les peuples et ainsi les révolutions.

  3. On peut toujours faire des anglicismes pour réinventer la roue.

    Mais c’est simplement une autocensure que chacun s’applique au quotidien. C’est une norme des rapports sociaux, pour préserver une relation amicale ou autre… Si l’on prend soin de les préserver, dans une relation “one to one”. Elargir cet échange au niveau d’un réseau aux sensibilités divergentes , c’est s’astreindre psychologiquement à plus de contrainte dans sa communication. Ou alors, il faut se résoudre à perdre une partie de ce “réseau relationnel” durement acquis. Et des avantages qu’il peut apporter.

    Pour l’individu, cela va à l’encontre de l’impacte narcissique engendré par l’accroissement de son réseau relationnel…

    Bref, cette contrainte que chacun s’applique pour préserver ses rapports sociaux (physiquement restreint au quotidien).
    En fait une prison à l’échelle d’un réseau transgressant le nombre de relation, humainement gérable.

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