Tout le monde connaît SpaceX, aussi bien les férus d’astronomie et de conquête spatiale que le premier des quidams. Nous avons tous déjà entendu parler, ne serait-ce qu’une fois. En ce vendredi 6 mai, l’entreprise spatiale américaine fête ses 20 ans, après avoir été fondée par un homme clivant, aux ambitions délirantes : Elon Musk.
Cependant, résumer deux décennie d’une percée aussi extraordinaire que celle de SpaceX à un seul personnage serait injuste. L’homme d’affaires, natif de Pretoria en Afrique du Sud, est loin d’être solitaire dans l’aventure. La réussite de SpaceX, il la partage avec de nombreuses têtes, sous de nombreuses histoires.
Au cours d’un entretien avec Olivier Sanguy, journaliste spécialisé dans le spatial dans les années 2000 et 2010, Presse-citron s’est penché sur les dessous de 20 ans de travail acharné, derrière l’histoire de SpaceX. Le cheminement d’une entreprise qui a créé l’impossible : atteindre l’espace, le rendre accessible, et choisir son avenir.
6 mai 2002 : Jour 1
Quand nous avons cherché une date avec Olivier pour commencer cette histoire, celle du 6 mai 2002 a semblé la plus logique. Ce jour-là, alors que le monde du spatial ne parle que de navettes spatiales – notamment Columbia, encore en pleine activité – Elon Musk fonde SpaceX. Il venait tout juste de récoler les fruits de sa revente de PayPal.
Avec cette entreprise, les espoirs de l’homme d’affaires sont encore plus grands. Il vise les étoiles, au sens premier du terme. Mais Elon Musk n’a aucune expérience dans le spatial, et il sait que réussir dans ce domaine n’est pas chose aisée. D’autant plus il y a vingt ans.
« En 2002 quand il arrive, personne n’y croit. J’ai entendu des personnes qui travaillaient dans des grandes entreprises du secteur dire qu’il allait faire d’une grande fortune une petite fortune avec SpaceX », commente Olivier Sanguy. Face à autant d’avis mitigés, pour ne pas dire négatifs, Elon Musk (fidèle à lui-même) va préserver pour donner le résultat que nous connaissons 20 ans après.
Mais alors comment un homme sans les moindres compétences spatiales a-t-il réussi à créer l’entreprise la plus puissante de son domaine ? Selon Olivier Sanguy, la réponse est à trouver du côté de Houston, au siège de la NASA. Pour lui, c’est l’agence fédérale américaine qui est la grande responsable de la réussite de SpaceX.
« Pour bien comprendre, il faut se replonger dans le contexte de l’époque. La NASA travaille avec des entreprises en faisant des “contrats étatiques”. Elle donne des plans, un budget et trouve une entreprise pour construire la navette, la fusée… Mais au début des années 2000, les choses changent radicalement avec le COTS ».
“COTS” : SpaceX entre dans la cour des grands
Le “COTS”, pour “Commercial Orbital Transporation Service” est un contrat de prestation de service à destination des entreprises privées. La NASA ne veut plus fournir les plans et le budget : elle veut acheter une solution clé en main, car elle juge que le secteur privé est « industriellement mûr » pour cela.
Une solution économique pour la NASA qui réduit grandement ses coûts, alors que le James Webb (déjà à l’époque) commence à être une dépense contraignante, et que le projet Constellation, qui vise à ramener des Hommes sur la Lune, est dans toutes les têtes.
Avec le projet COTS, la NASA veut trouver un vaisseau bon marché pour faire la logistique vers l’ISS. Il s’agit d’un contrat gigantesque, qui assure des revenus réguliers et conséquents, une aubaine dans le monde du spatial. Mais à l’époque, personne ne s’y intéresse vraiment. Du moins, pas les grandes entreprises du moment « les Boeing, Lockheed Martin et Northon Gruman ne veulent pas du COTS, seul SpaceX, et d’autres petites sociétés s’intéressent à cette offre ».
Une grave erreur qui coûtera très cher aux géants du secteur, et qui sera la rampe de lancement du New Space. SpaceX, profitant de l’inaction des leaders du marché va développer son vaisseau Dragon « un bijou technologique, encore aujourd’hui » reconnaît Olivier Sanguy.
28 septembre 2008 : premier vol réussi de la Falcon 1
En plus du vaisseau, SpaceX doit travailler sur une fusée, d’abord nommée Falcon 1. Cette dernière réussit le 28 septembre 2008 à décoller et atterrir sans problème. À partir de là, la machine est lancée. « Ce qui est fou avec SpaceX, c’est la vitesse d’apprentissage et de réaction. Ils ont un mode de fonctionnement tellement différent. Ils font une erreur, pas grave, ils apprennent de cette dernière et refont un décollage, seulement quelques mois après. Le reste du monde spatial attend parfois des années avant de revoler, mais pas SpaceX. »
Cette réactivité, c’est l’une des clés de la réussite de SpaceX. C’est également toute la force d’Elon Musk. L’abnégation mise dans l’entreprise par cet homme en a gagné tous les rangs et alors que la défiance est toujours grande, SpaceX croit en son futur, et ce dernier lui sourit.
Avec le premier vol du 28 septembre 2008, SpaceX commence à se montrer dans la cour des grands. « Mais même là, beaucoup de gens m’ont dit “ils ont eu de la chance, ils ne voleront plus”… 12 ans plus tard, on voit le résultat. » Selon Olivier Sanguy, si la croissance de SpaceX est évidemment liée aux qualités d’Elon Musk, le PDG de la firme n’est pas le seul sur la liste des félicitations.
« La personne que l’on oublie beaucoup trop dans l’histoire, c’est Gwyne Shotwell, aujourd’hui cheffe des opérations et vraie bras droit de Musk chez SpaceX. » Cette ancienne ingénieure du monde de l’automobile rejoint SpaceX dès 2002 et elle connaîtra tout au sein de l’entreprise.
« Aujourd’hui, Shotwell est la personne qui gère SpaceX en sous-main. Elle est beaucoup moins médiatisée, mais elle a un impact impossible à mesurer. SpaceX ne serait jamais devenue l’entreprise que nous connaissons sans elle, c’est évident ».
10 janvier 2015 : la révélation du génie de SpaceX
Au début des années 2010, Elon Musk commence à se faire un nom. De par ses sorties médiatiques, l’Amérique commence à s’intéresser à cet entrepreneur de demain, et alors que la crise économique vient de toucher le pays de l’Oncle Sam, SpaceX relève rapidement la tête.
Le 4 juin 2010, le premier vol d’une Falcon 9 en direction de l’ISS a lieu. Il s’agit de la première livraison du projet COTS, signé deux ans plus tôt, après des années de développement. Le 16 septembre 2014, la NASA choisit SpaceX et Boeing pour faire les missions de navette habitée vers l’ISS. Là encore, un pas de géant est franchi des deux pieds par Elon Musk et ses équipes.
En parallèle de ces contrats pour la NASA, SpaceX travaille depuis des années déjà sur quelque chose de grand, d’inédit. La firme a en effet l’idée de récupérer les premiers étages de ses fusées pour les faire redécoller et ainsi réduire drastiquement les coûts des lancements.
« Ce n’est pas aussi révolutionnaire que cela en a l’air. C’est la même idée que la navette spatiale, sauf que là on ne met pas d’aérofrein ou de train d’atterrissage, on met des rétrofusées. La vraie prouesse, elle est là ! »
« Le 22 décembre 2015, ce fut un vrai choc. Ce jour-là, beaucoup de gens ont compris que SpaceX aller changer l’histoire. » Car ce jour-là, et après un échec en vol il y a moins de six mois, SpaceX arrive à récupérer son premier étage intact, lui qui a atterri sur le sol américain.
Par le passé SpaceX avait déjà réussi par deux fois à récupérer son premier étage, mais c’était en mer. Le 22 décembre 2015, c’est la première fois qu’il se pose sur la terre ferme. Une première pour SpaceX, mais aussi pour le spatial en général. « On n’avait pas vu ça depuis la navette spatiale ».
30 mai 2020 : SpaceX envoie des Hommes dans l’espace
À la fin des années 2010, tout le monde a pris conscience de l’importance de l’espace. Des satellites sont lancés par dizaines, et SpaceX, toujours dans les bons coups avant tout le monde, lance son programme Starlink. Ce dernier a la simple ambition de relier la Terre entière à internet, sans le moindre câble ou presque.
Une idée révolutionnaire, là encore, mais qui permet surtout à l’entreprise de s’autofinancer. « SpaceX a fait un gros pari avec Starlink, si on regarde 2021 près d’un lancement sur deux est dédié à Starlink, c’est énorme ! Il faut que ça marche ». Le pari est fou, une fois de plus, mais les retombées pourraient être monumentales, et SpaceX le sait mieux que personne.
Avec la guerre en Ukraine, le service de la société américaine a d’ailleurs été très utile, lui qui a permis de connecter des villes entières, complètement coupées du monde comme Liviv ou Kharkiv, en passant par Kiev.
Mais le grand coup d’éclat de SpaceX sur ces dernières années, c’est sans doute le 30 mai 2020 qu’il a eu lieu. Cela faisait des mois que ce vol était prévu, que le rendez-vous avec l’Histoire avait été pris. Le 30 mai 2020, SpaceX envoie des astronautes dans l’ISS.
L’entreprise d’Elon Musk (et de Gwyne Shotwell) est la toute première firme privée à réaliser un tel exploit. Près d’un an après, Richard Branson et Jeff Bezos se chamailleront au cœur de l’été pour franchir les limites de l’espace. Entre 2002 et 2020, SpaceX l’a fait plus de 1000 fois. Un autre monde.
Demain : Starship
La dernière date de cet article n’en est pas vraiment une. Mais comment parler de SpaceX, prétendre revenir sur l’histoire de cette entreprise sans parler de lui : le Starship. Ce vaisseau monumental, au cœur de tous les projets, a pour le moment fait couler beaucoup d’encre et nourri de grands espoirs.
« Avec le Starship, SpaceX veut concrétiser 20 ans de travail et de sérieux, au service d’un objectif, d’un rêve ». Car tout le monde l’a en tête sans en parler, mais c’est bien de la planète rouge qu’Elon Musk rêve. Lui qui n’a jamais caché son ambition de s’y rendre un jour, n’a jamais paru aussi proche.
Après des vols de tests spectaculaires, avec des explosions et de la hype comme SpaceX sait si bien le faire, l’entreprise a retrouvé son sérieux. Cloué au sol par la FAA, le Starship est loin de faire l’unanimité. « On dit qu’il ne va jamais rien faire avec ce vaisseau, qu’il va foutre le feu à Boca Chica et c’est tout ».
Encore et toujours SpaceX est critiquée, rabaissée. Beaucoup de personnes, pourtant très au fait de l’actualité spatiale, peinent à voir le potentiel de cette entreprise. « C’est une créature de la NASA, c’est indéniable. SpaceX n’existerait pas sans elle. » Tempère Olivier Sanguy qui tente d’expliquer ce manque de confiance.
Mais malgré les détracteurs (de moins en moins nombreux) SpaceX avance, et ce depuis plus de 20 ans. L’entreprise est aujourd’hui l’une des firmes les plus puissantes au monde, la plus puissante de son monde, sans l’ombre d’un doute.
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Très bon article.