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Ada Lovelace : la première programmeuse de l’histoire qui a devancé son temps

Inventer la programmation sans jamais voir un ordinateur : voici une vraie innovation.

Lorsque nous parlons technologie, nous avons souvent le regard vers l’avenir. Quel modèle d’IA surpassera tous les autres ? Quelle prochaine génération de GPU renversera tous ses précédents ? Quel smartphone premium deviendra la référence ? C’est même cette quête du « plus », du « meilleur » et du « plus rapide » qui anime ce secteur précis. Pourtant, revenir sur le passé pour mieux comprendre le présent est un exercice intellectuel tout aussi important. N’oublions pas que tous les objets technologiques que nous utilisons au quotidien sont issus plus ou moins directement de l’esprit génial de précurseurs, parfois tombés dans l’oubli.

C’est l’histoire d’une précurseuse que nous allons traiter aujourd’hui. Dans l’Angleterre victorienne, une femme d’exception a posé les fondements théoriques de l’informatique moderne, un siècle avant l’invention du premier ordinateur. Ada Lovelace, fille du célèbre poète George Gordon Byron, a transcendé les conventions de son époque pour devenir la première programmeuse de l’histoire.

Une éducation hors du commun dans l’ombre d’un père absent

Née Augusta Ada Byron le 10 décembre 1815 à Londres, Ada est le fruit d’une union tourmentée entre Lord Byron et Annabella Milbanke. Un mois après sa naissance, sa mère fuit les excès d’un époux violent, après avoir subi quatre tentatives de viol en état d’ivresse. Cette séparation, officialisée le 21 avril 1816, marque le départ définitif de Byron du Royaume-Uni, laissant derrière lui une fille qu’il ne connaîtra jamais.

Déterminée à préserver Ada de l’héritage tumultueux des Byron, Lady Annabella, surnommée « la princesse des parallélogrammes » en raison de sa passion des mathématiques, donnera à sa fille une éducation scientifique d’une rigueur exceptionnelle. Cette approche, révolutionnaire pour une jeune fille de l’aristocratie victorienne, porte rapidement ses fruits.

En 1832, Ada fait la rencontre déterminante de Mary Somerville, scientifique écossaise du XIXᵉ siècle, qui devient sa mentore et nourrit son appétit pour les sciences. Le cercle intellectuel d’Ada s’élargit progressivement, incluant des personnalités comme Charles Dickens David Brewster, Charles Wheatstone et Michael Faraday.

Son mariage en 1835 avec William King, futur comte de Lovelace, loin de freiner ses ambitions intellectuelles, lui offre un soutien précieux dans ses recherches mathématiques. Malgré trois grossesses et une santé fragile, Ada poursuit ses études sous la tutelle du mathématicien de renom Auguste De Morgan, qui reconnaît en elle une élève extrêmement brillante et créative.

Ada Lovelace
Ada Lovelace en 1840, peinte par Alfred Edward Chalon, un portraitiste suisse. © Alfred Edward Chalon / Wikipédia

La rencontre déterminante avec Charles Babbage

En 1833, à l’âge de 17 ans, Ada fait la connaissance de Charles Babbage, figure majeure des sciences mathématiques de l’époque. Cette rencontre bouleversa le destin de la jeune femme, qui trouve en Babbage une figure paternelle et un mentor d’exception. Immédiatement fascinée par ses machines à calcul, Ada développe avec lui une relation intellectuelle intense.

La collaboration entre Babbage et Ada prend une dimension particulière en 1842, lorsqu’elle entreprend la traduction d’un article du mathématicien italien Louis-Frédéric Ménabréa décrivant la machine analytique (calculatrice mécanique programmable) de Babbage. Durant neuf mois d’un travail acharné, elle ne se contente pas d’une simple traduction, mais enrichira considérablement le texte original.

Ses sept notes explicatives, labellisées de A à G, triplent le volume de l’article et témoignent d’une compréhension profonde d’Ada de la machine de son mentor. Alors que Babbage, souffrant, n’intervient que marginalement dans ce travail, elle démontre une vision révolutionnaire des possibilités de la machine. Elle imagine notamment qu’elle pourrait manipuler des symboles plutôt que de simples nombres, pressentant ainsi le concept d’ordinateur universel que Turing formalisera un siècle plus tard.

L’héritage révolutionnaire d’une pionnière

La Note G de ses annotations marque un tournant dans l’histoire de l’informatique. Elle y développe ce qui sera considéré comme le premier programme informatique publié au monde : un algorithme pour calculer les nombres de Bernoulli, une suite de nombres rationnels apparaissant dans de nombreuses formules mathématiques, particulièrement dans le calcul de sommes de puissances d’entiers et dans le développement en série de certaines fonctions.

Cette innovation majeure introduit la première boucle conditionnelle de l’histoire, pierre angulaire de la programmation moderne. Une boucle conditionnelle en informatique est une structure de contrôle qui permet de répéter un bloc d’instructions tant qu’une certaine condition est vérifiée. En d’autres termes, c’est comme un cercle vicieux dans un programme : on fait quelque chose, puis on vérifie si on doit recommencer. Si la condition est toujours vraie, on recommence. Sinon, on sort de la boucle. Une brique fondamentale de la programmation informatique.

Le formalisme inédit de son algorithme témoigne d’une compréhension exceptionnelle des mécanismes de calcul automatisé. Ada est encore plus visionnaire puisqu’elle perçoit que les machines pourraient faire bien plus que de simples calculs mathématiques : « Beaucoup de personnes […] s’imaginent que parce que la Machine fournit des résultats sous une forme numérique, alors la nature de ses processus doit être forcément arithmétique et numérique, plutôt qu’algébrique ou analytique. Ceci est une erreur. La Machine peut arranger et combiner les quantités numériques exactement comme si elles étaient des lettres, ou tout autre symbole général » peut-on lire dans ses notes.

Sa fin tragique survient le 27 novembre 1852, emportée à 36 ans par un cancer de l’utérus après d’intenses souffrances. Ses dernières années sont assombries par des dettes de jeu, contractées dans l’espoir de financer les projets de Babbage à travers un système de paris hippiques pour lequel elle conçut un système de prédiction.

Tombée dans l’oubli pendant plus d’un siècle, sa contribution est redécouverte avec l’avènement de l’informatique moderne. Son héritage rayonne aujourd’hui mondialement : le langage de programmation Ada, créé pour le département de la Défense américain, porte son nom, tout comme l’astéroïde (232923) Adalovelace et la cryptomonnaie Cardano dont l’unité s’appelle Ada.

L’Ada Lovelace Day, célébré chaque second mardi d’octobre, honore son legs en promouvant les contributions féminines aux sciences. Des institutions prestigieuses comme l’École polytechnique fédérale de Lausanne ont baptisé des lieux en son honneur, tandis que son portrait orne les hologrammes d’authentification des produits Microsoft. Plus récemment, NVIDIA a choisi son nom pour son architecture graphique RTX 4000, perpétuant ainsi la mémoire de cette scientifique géniale.

Rarement une femme comme Ada n’a été autant en avance sur son temps, encore plus dans un domaine largement dominé par les hommes. Ce, bien avant que la plupart de ses contemporains ne saisissent l’importance de ses travaux. Si elle n’avait pas existé, l’histoire de l’informatique et même celle de l’intelligence artificielle aurait emprunté un chemin indéniablement différent. Nous aurions découvert que plus tardivement le potentiel des machines à calculer, la formalisation de la programmation aurait été retardée et beaucoup il est certain que les femmes auraient été encore plus sous-représentées dans le domaine de l’informatique pendant plusieurs décennies.

  • Ada Lovelace, pionnière de l’informatique, a conçu le premier algorithme pour une machine, pressentant les possibilités des ordinateurs modernes.
  • Éduquée dans un cadre exceptionnel, elle a collaboré avec Charles Babbage et anticipé des concepts clés comme les boucles conditionnelles et la manipulation symbolique.
  • Son influence perdure encore aujourd’hui, marquant durablement les sciences et la technologie, avec des distinctions comme le langage Ada et une journée dédiée à sa mémoire.

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