Passer au contenu

French Tech : “les investisseurs viennent à Montpellier et ils savent pourquoi”

Notre conversation avec Clément Saad, le président de la French Tech Méditerranée, basée à Montpellier.

Les bureaux de l’ancienne mairie, datant de 1975, témoignent d’une initiative prématurée. À Montpellier, l’innovation ne date pas d’hier et cela se voit. Les murs de la mission French Tech Méditerranée sont certainement les derniers à le retracer, mais ont le mérite de l’afficher fièrement. Depuis 2016, elle s’est installée ici, à deux pas du centre commercial Polygone, où un gigantesque coq se dresse sous un soleil méridional.

Début 2023, ses équipes s’installeront dans de tout nouveaux locaux, proches de la nouvelle gare TGV. Le Hall de l’Innovation, baptisé ainsi, regroupera l’ensemble des acteurs locaux dans l’accompagnement de l’entrepreneuriat. Il fallait bien ça pour s’adapter à la fabuleuse croissance que son écosystème vit actuellement. En 2022, lors de la sélection Next40/French Tech 120, l’Occitanie s’est placée en troisième position des régions les plus compétitives, juste après Auvergne-Rhône-Alpes.

Pour aller découvrir les spécificités qui font le succès de la région, Presse-citron s’est appuyé sur ses ressources locales pour se lancer dans une nouvelle série sur les acteurs de l’écosystème startup à Montpellier. En guise de premier épisode, notre entretien avec Clément Saad, le président de French Tech Méditerranée, lui-même entrepreneur et à la tête de l’entreprise de protection de smartphones Pradeo.

Presse-citron : French Tech Med, Digital 113, Leader Occitanie, BIC de Montpellier… le répertoire d’aides et d’accompagnements aux startups est bien rempli en Occitanie. Pouvez-vous nous expliquer le rôle et les différences entre chacune de ces entités ?

Clément Saad : La French Tech Méditerranée est une association portée par des entrepreneurs de sociétés porteurs d’une innovation. C’est en 2018 que le label parisien s’est installé en province et à partir de là, à Montpellier, nous avons décidé de nous baptiser “French Tech Méditerranée” pour englober un plus large périmètre comprenant les départements de l’Héraut et du Gard.

Pour vous aider à mieux distinguer chaque programme, ici dans la région, Digital 113 va plutôt s’orienter sur les problématiques du côté du numérique. Une entreprise fera appel à Digital 113 pour se faire aider sur sa digitalisation.

Chez la French Tech, de notre côté, nous nous penchons sur les problématiques de croissance et de développement. Nous aidons à vendre, à recruter, à lever des fonds. Toutes les problématiques du quotidien pour une startup.

Nous aidons à vendre, à recruter, à lever des fonds

Leader Occitanie, de son côté, va jouer un rôle équivalent au nôtre, mais pour des entreprises traditionnelles, pour lesquels nous n’avons pas de compétences pour aider. Car un modèle d’affaires d’une boîte traditionnelle n’a rien à voir avec celui d’une startup. Dans une startup, nous n’avons pas peur de perdre des sous. Une startup s’attend à lever de l’argent et être agressive et engagée. Pour une entreprise traditionnelle, il y a un équilibre, une rentabilité… ce n’est pas du tout la même grille de lecture.

Presse-citron : Comment se structure La French Tech ? On entend parler de “capitales”, de “communauté”… Comment se répartissent les décisions entre vous, à Montpellier, et Clara Chappaz à Paris ?

Clément Saad : Pendant longtemps, la France a rêvé d’avoir sa Silicon Valley. Mais nous nous sommes rendu compte que l’innovation en France était partout. Alors plutôt que de rattacher l’innovation à un territoire, nous avons rattaché l’innovation à une marque. Cette marque, la mission French Tech, est pilotée depuis Paris et rattachée au secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Cédric O. Mais des “capitales”, en province, ont la liberté de choisir leur feuille de route en fonction de leur écosystème local.

Pendant longtemps, la France a rêvé d’avoir sa Silicon Valley. Mais nous nous sommes rendu compte que l’innovation en France était partout

Nous rajoutons donc, en parallèle aux actions parisiennes, nos propres projets en fonction des capacités et des opportunités de notre territoire. Paris s’occupe des actions transterritoire, qui peuvent concerner et s’appliquer autant Bordeaux, qu’à Lyon, ou qu’ici à Montpellier.

Ensuite, nous nous basons sur les spécificités du territoire et nous déclinons tout un programme opérationnel orienté, et nous l’assumons, sur les résultats. Ici, à Montpellier, le gros avantage concerne nos universités. Nous disposons en grand nombre de nouveaux ingénieurs et de laboratoires de recherche de premiers plans à l’échelle internationale.

C’est pourquoi, parmi nos projets locaux, nous avons lancé un programme pour casser la petite frontière entre les laboratoires de recherche universitaires et les startups. Souvent, la startup regarde les laboratoires comme les savants fous et souvent les laboratoires voient les startuppers comme des capitalistes qui ont trouvé l’opportunité de faire rapidement de l’argent.

L’idée de notre programme est d’accompagner cet élan pour désacraliser ces idées reçues et montrer qu’une startup peut valoriser une innovation et qu’un laboratoire peut faire gagner 10 ans de développement.

Presse-citron : Comment sont discutés les projets ? De qui proviennent-ils ?

Clément Saad : Comme je le disais, la French Tech est un rassemblement d’entrepreneurs. Alors nous disposons d’un directoire. Il est composé de quinze chefs d’entreprises. C’est avec eux que nous traçons une feuille de route, après un petit sondage que nous faisons chaque année après des adhérents. Ensuite, le directoire réfléchit à des actions que l’on pourrait mettre en place. Différents pilotes, sur chacune des thématiques, existent : ressources humaines, financement, tech, commerciales, internationale, etc.

Presse-citron : Si je comprends bien, seules les personnes de l’écosystème des startups sont sondées pour faire naître votre feuille de route. N’est-il pas aussi utile d’aller demander aux personnes en dehors de cet écosystème ? Aux potentiels clients ?

Clément Saad : Ce sont les startuppers qui ont la compétence décider des programmes. Par contre, pour la sollicitation, nous travaillons aussi avec les grands groupes, les incubateurs, les avocats, les banquiers, et les fonds d’investissement. Aux débuts de la crise sanitaire, nous avons constitué une commission regroupant ces différents acteurs, susceptibles d’analyser et de détecter par avance les enjeux de demain pour les startups.

En constatant son intérêt, nous avons décidé de conserver cette commission en l’établissant dans l’accompagnement des orientations que la French Tech pourrait donner. C’est comme cela que nous fonctionnons maintenant.

Presse-citron : Comment se finance la mission French Tech ?

C.S : L’Etat finance une partie, viennent ensuite la région, la métropole de Montpellier, l’ensemble des agglomérations qui composent le territoire en Hérault et dans le Gard. Nous récupérons aussi des fonds grâce à l’adhésion des grands groupes, auprès des fonds d’investissement, des incubateurs, et aussi auprès des startups avec un montant symbolique de 100 euros.

Presse-citron : Avec Pradeo, depuis 2010, vous avez traversé l’ensemble des étapes de création et de croissance d’une startup innovante. Si vous aviez lancé l’entreprise avec le même soutien qu’apporte aujourd’hui la French Tech Med, qu’est-ce qui aurait été différent ?

C.S : J’aurais gagné du temps. L’association French Tech témoigne de la maturité du territoire. Il y a eu des introductions en bourse, de très grosses levées de fonds, des acquisitions faites par les startups, du succès à l’international… En un mot : du vécu.

Et quand il y a du vécu, il y a du partage d’expérience. Vous me demandez pour Pradeo : je me souviens de ma bêtise, lorsque je lançais ma filiale aux États-Unis. J’avais décidé de m’établir à San Francisco sans prendre conscience que j’allais me retrouver en concurrence dans le recrutement avec des entreprises comme Facebook, Twitter, etc… Forcément, les meilleurs ne vont pas chez vous. Ils vont chez ces gens-là. Voilà typiquement le genre d’exemple où le partage d’expérience avec la French Tech m’aurait aidé.

Je me souviens de ma bêtise, lorsque je lançais ma filiale aux États-Unis

Presse-citron : J’ai une idée de projet, je souhaite travailler dessus, mais je suis tout seul et je n’ai pas beaucoup de solutions de financement en “love money”. À quel moment puis-je m’adresser à la mission French Tech ? Au fil du temps, sur quels points pourront-ils m’aider ?

C.S : Il faut savoir qu’il est encore trop tôt, pour un nouveau créateur d’entreprise, d’appartenir à la French Tech. Mais c’est un premier réflexe malin. La French Tech pourra servir de hub pour réorienter ces nouveaux entrepreneurs vers les acteurs qui s’occupent de ces questions. Un incubateur par exemple. Ici à Montpellier, nous avons l’un des meilleurs incubateurs du monde.

Après, cela ne nous empêche pas de lancer aujourd’hui de nouveaux dispositifs pour aider à la création. C’est le cas par exemple de French Tech Tremplin, où nous venons de lancer la deuxième édition qui comprend notamment des accompagnements par des mentors et une intégration auprès d’un accélérateur.

Presse-citron : L’Occitanie est la troisième région représentée dans la sélection Next40 et FT120. Juste derrière Auvergne-Rhône-Alpes. Quelles sont les grandes qualités de la région pour entreprendre ? Quels sont les domaines les plus représentés ?

C.S : Pour pouvoir valoriser des sociétés de manière aussi forte, en Occitanie, cela veut dire que nous avons quelque chose de spécial et que notre savoir-faire est très poussé. Nous avons les universités pour le recrutement et les laboratoires de recherche pour les avancées technologiques. Très tôt, nous avons fait le pari sur l’innovation. Le BIC de Montpellier n’est pas tout jeune, et à l’époque nous ne parlions pas du phénomène startup, le sujet n’était pas aussi démocratisé.

Nous avons les universités pour le recrutement et les laboratoires de recherche pour les avancées technologiques

Les sociétés qui ont été sélectionnées et qui représentent aujourd’hui la French Tech Méditerranée sont des sociétés qui se sont créées à ce moment-là, quand tout était encore neuf. Doucement, nous avons fait notre bout de chemin.

C’est aussi un écosystème à échelle humaine. À Paris, à titre de comparaison, c’est très difficile de se faire ne serait-ce qu’identifié. À Montpellier, Nîmes, ou dans le Gard, c’est relativement simple. Dès qu’on commence à se développer, tout le monde nous connaît. Après, notre force est aussi que nous avons un territoire qui attire, et je ne vous surprendrais pas si j’évoque le climat !

Lire aussi – À Montpellier, cette startup aide Facebook et Netflix à recruter

Presse-citron : Le fait de voir ces entreprises grossir dans la région et des investisseurs étrangers y venir, cela renforce-t-il une sorte de marque, de label de qualité ?

C.S : Je crois que gentiment nous sommes en train de faire ressortir des spécificités du territoire. Je pense qu’aujourd’hui quand un fonds d’investissement vient, il sait pourquoi il vient. Il ne vient plus pour découvrir et pour savoir ce qu’il se passe ici. Ils nous le disent, ils viennent chercher l’expertise dans l’innovation, les ressources liées aux universités et aux formations, et la structure de l’accompagnement comme avec le BIC. Alors forcément, quand vous sortez des licornes, ça concrétise le fait qu’à la fin tous nos efforts finissent par payer.

Presse-citron : La licorne Swile, qui a choisi de rester dans la région, a-t-elle un contact fort avec French Tech Méditerranée ?

C.S : Oui, ils sont adhérents. D’ailleurs, son fondateur Loïc Soubeyrand avait créé une première société sur le territoire et il a choisi de se lancer avec Swile au même endroit. Il y a suffisamment d’arguments ici pour se dire qu’il s’agit de la bonne place.

Hall de Innovation Montpellier
Les futurs locaux du Hall de l’Innovation, où la French Tech Méditerranée va déménager en fin d’année © Montpellier Méditerranée Métropole

Presse-citron : C’est l’une des nouvelles grandes préoccupations du gouvernement, après celle de faire émerger des licornes sur le territoire : comment convaincre les startups de rester en Occitanie plutôt que de choisir de se délocaliser à Paris ou à l’international ? Quel rôle peut avoir la French Tech Med sur cette difficile mission ?

C.S : Je pense que l’on est sur la bonne voie. Je vous le dis de manière très transparente, avant, je m’étais posé la question à savoir s’il ne serait pas plus intéressant d’aller directement à San Francisco dès le départ, quand on voyait la simplicité pour lever des fonds et pour avoir des valorisations très importantes. C’était beaucoup plus compliqué à ce moment-là en France. Et ça a beaucoup changé, les choses se sont beaucoup rééquilibrées. Donc l’argument financement n’en est presque plus un.

Des événements sont aussi là pour créer des liens avec les investisseurs, comme le Montpellier Capital-Risque. Cédric O avait aussi organisé French Tech Rise, pour faire venir toutes les pépites des différentes provinces à Paris et leur faire rencontrer des fonds d’investissement.

Pour les autres problématiques d’un chef d’entreprise qui vont se poser, ventes, recrutement, etc… viennent tout un tas de questions encore. Mais le territoire regorge de régions avec des spécificités qui pourront coller avec chacune des startups. Dans la deep tech, the place to be, c’est ici.

Lire aussi – Montpellier : ils sont sportifs de haut niveau et souhaitent investir

Presse-citron : Rencontrez-vous des chefs d’entreprises qui vous en parlent ? Qui doutent ?

C.S : On en a moins, pour ne pas dire plus. Il y a eu un temps où il est vrai qu’il y avait de la frustration. Mais cela ne concernait pas que la région. C’était une mentalité bien française. J’ai été confronté à cela. Par exemple, quand on parlait des concurrents de mon entreprise, j’avais l’impression que l’on me parlait d’une multinationale par le seul fait que c’était des Américains.

Le COVID a réveillé l’aspect souveraineté. Aujourd’hui, c’est bien plus une fierté d’être une société française. On assume beaucoup plus. Pour très bien connaître la Silicon Valley, je vous assure n’avoir jamais été bluffé par un ingénieur, là où je le fus déjà pour un ingénieur d’ici. Il faut que l’on s’en rende compte et que l’on soit fier de tout ça.

Presse-citron : Est-ce que la French Tech peut avoir ce rôle tampon, entre ces chefs d’entreprises qui se posent des questions et les collectivités – l’Etat ?

C.S : C’est le cas. Nous avons un lien récurrent avec ces gens-là. Avec Cédric O tous les trimestres, mais aussi avec la région, avec la métropole – nous nous voyons régulièrement. La French Tech est aussi là pour impulser une philosophie. On parlait des licornes, mais cela ne suffit pas. Est-ce que finalement c’est ça l’alpha et l’oméga de la French Tech ? Je ne crois pas. Il n’y a pas que la valorisation qui doit être un critère.

Au moment où nous lançons un projet appelé Impact, pour soutenir les entreprises qui travaillent sur leur impact écologique, pourquoi nous ne pourrions pas avoir des licornes vertes ? Je pense que nous nous sommes tous posé la question, pendant le confinement, de quel était le sens de ce qu’on était en train de faire. Donc nous encourageons la performance économique, mais aussi l’impact social, environnemental, etc. Ce sont des choses à pousser.

Presse-citron : Avez-vous des chiffres d’entreprises qui partent de la région ?

C.S : Je n’ai pas d’exemples en tête à donner. Il y a bien sûr des entreprises qui ouvrent des bureaux ailleurs, mais qui ne déménagent pas par frustration.

Presse-citron : Pour la licorne Swile, ici dans la région, est-ce que la question s’est posée ?

C.S : En tout cas, Loïc ne nous l’a pas signalé. Je ne pense pas. Au contraire, il est assez fier de son implantation ici. Et puis la preuve, c’est que ça marche.

Presse-citron : Quels sont les grands projets et objectifs pour la French Tech Med ces prochaines années ? Sur quels domaines voyez-vous de l’attrait et un manque de proposition chez les entrepreneurs ? On a entendu parler du Hall de l’innovation, pouvez-vous nous en dire davantage ?

C.S : Je pense qu’il y a encore trop de fonds d’investissement qui ont le réflexe parisien. Ils ne sont pas assez en province. C’est souvent à nous d’aller les voir. Pour essayer de palier à ça, nous allons essayer de les faire venir de plus en plus, les faire toucher du doigt pour les motiver à ce qu’ils viennent plus souvent.

Pour le reste, l’écosystème est assez bien structuré. Le risque est toujours le même, si vous voulez créer une licorne, il faut forcément pouvoir accueillir les centaines voire milliers d’employés qui y travailleront. Nous devons donc avoir une politique foncière qui doit suivre, d’où le fait que nous avons aussi souhaité élargir le territoire.

📍 Pour ne manquer aucune actualité de Presse-citron, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.

Cliquer pour commenter
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *