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Énergie

Nationalisation d’EDF : qu’est-ce que ça change, concrètement ?

L’Assemblée Nationale vient d’adopter une loi qui prévoit la nationalisation de EDF. Voici ce qu’il faut savoir.

RPB

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© Unsplash / Leo Crouzille
  • Les députés ont adopté en première lecture jeudi 9 février 2023 une loi permettant la renationalisation de EDF
  • Le texte prévoit une “vraie nationalisation” sans possibilité de démantèlement futur, avec notamment l’incessibilité du capital de l’entreprise
  • Outre une meilleure maîtrise des tarifs, cette nationalisation pourrait faciliter la relance du nucléaire français
  • Le texte s’expose toutefois à un contrôle de constitutionnalité – il a des chances d’être retoqué dans sa forme actuelle

L’idée de nationaliser EDF plane depuis maintenant plusieurs mois – et il semble. avec le vote d’un texte de Loi en ce sens jeudi 9 février 2023, que c’est bien le scénario qui se dessine désormais pour le premier fournisseur d’énergie en France.

Pourquoi renationaliser EDF ?

L’éclatement de la guerre en Ukraine a complètement rebattu les cartes de l’énergie en Europe, et la stratégie des Etats pour se fournir en énergie, tout en “verdissant” autant que faire ce peut leur mix énergétique. Avant la guerre en Ukraine, plus du quart des besoins énergétiques européens étaient couverts par les importations d’énergies fossiles russes. Une proportion qui avait mécaniquement augmenté ces dernières années, alors que plusieurs Etats du continent, dont la France et l’Allemagne, avaient entamé une réduction pour le premier et une sortie pour le second, du nucléaire.

Le but était dans les deux cas de réduire les risques rattachés à la production d’électricité nucléaire après l’explosion de plusieurs réacteurs de la centrale de Fukushima au Japon. Toutefois, il s’est vite avéré qu’il est difficile de substituer le vent et le soleil (énergies intermittentes) à la production d’électricité nucléaire (énergie constante). Du coup, l’Allemagne en particulier, a rouvert de nombreuses centrales au gaz et au charbon, et a noué des accords avec la Russie pour se fournir en énergie.

D’autres pays européens ont adopté une stratégie similaire. Or, la crise a forcé l’ensemble du continent à se passer brutalement d’énergies fossiles russes, sans réel plan B écoresponsable. A court terme, cela pousse donc les Etats européens à revenir sur une production d’énergie polluante, en ouvrant des centrales au gaz et au charbon dont le carburant est importé de l’étranger, notamment des Etats-Unis – le tout sur fond de tarifs de l’énergie qui augmentent, ce qui pèse lourdement sur le budget des ménages.

En France le gouvernement a donc choisi de changer sa stratégie énergétique à plus long-terme. Il s’agit maintenant d’inverser la vapeur sur le nucléaire, en ordonnant au contraire un développement du parc. Cela prendra du temps et requerra beaucoup d’investissements. Nationaliser EDF permet à l’Etat de plus facilement re-développer le parc nucléaire français, tout en limitant les tarifs de l’énergie qui grèvent la facture des ménages et des entreprises.

Nationalisation EDF : que contient le texte voté par les députés jeudi 9 février ?

Sur le principe, l’ensemble de la classe politique est plutôt d’accord avec une renationalisation de EDF. Mais le diable est dans les détails. Or, c’est justement l’opposition socialiste qui semble-t-il a cette fois-ci le dernier mot sur la nationalisation au grand dam du gouvernement et de la majorité présidentielle.

Leur proposition de loi vient en effet d’être adoptée malgré le boycott des députés de La République En Marche. Le texte adopté, porté par le député de l’Eure Philippe Brun (PS) est présenté comme un moyen de renationaliser l’énergéticien tout en garantissant que celui-ci ne sera jamais démembré par la suite.

En plus du rachat par l’Etat de toutes les parts restantes, le texte de Loi prévoit une incessibilité du capital. Ce qui signifie que toute cession future (ou privatisation) devra nécessairement passer par une nouvelle Loi votée par les deux chambres. Pourtant, en soit, ce n’est pas la mesure du texte qui fait le plus tiquer la majorité. Là où ça coince beaucoup, c’est sur la question des tarifs réglementés.

En particulier un article élaboré avec les boulangers artisans qui prévoit un bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie à destination des TPE et des artisans. La majorité considère cette question comme déconnectée de la nationalisation du groupe EDF elle-même. Surtout elle crée de facto une nouvelle niche dont il sera vraisemblablement bien difficile de se séparer une fois la crise de l’énergie résolue.

La proposition de Loi a été adoptée à 205 voix pour et une contre. Il doit maintenant passer devant le Sénat qui peut encore y insérer des amendements avant un vote final. Toutefois, l’applicabilité du texte, notamment dans le respect de la constitution et des engagements internationaux de la France, reste un point d’interrogation.

Pourquoi le Conseil Constitutionnel risque de retoquer le texte ?

Tout n’est pas forcément possible : la hiérarchie des normes impose aux textes de Loi de respecter ce qui se trouve dans la constitution. Sous peine d’être “retoqués” (c’est à dire refusés, pour toutes ou partie de leurs dispositions). La saisine du Conseil Constitutionnel n’est toutefois pas automatique pour ce type de texte, et elle est encadrée.

Dans le cas de cette proposition de Loi, seuls le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’une ou l’autre assemblée, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent demander un contrôle de constitutionnalité a priori sur un projet de Loi. Or, la majorité a déjà fait part de ses doutes en matière de constitutionnalité, et on peut donc supposer que LREM fera le nécessaire pour que la proposition de Loi finale soit dûment examinée par les Sages.

Plusieurs dispositions pourraient être ainsi retoquées. Il y a d’abord la question du champ d’application du texte qui pourrait faire disparaître l’article sur le bouclier énergétique pour les boulangers et TPE. Car le Conseil pourrait effectivement considérer que ces mesures sont déconnectées directement du texte de nationalisation, en plus du fait que ce texte poussé par les députés créé une nouvelle dépense publique ce qui n’est normalement pas permis par la constitution.

Toutefois une plus grande menace encore plane sur une large partie du texte. La loi présente en effet le groupe EDF post-nationalisation comme un acteur unifié qui peut à la fois assurer « la production, le transport, la distribution, l’importation et l’exportation d’électricité ». Or, la directive européenne sur les règles communes pour le marché de l’électricité de 2003 impose justement de séparer production, distribution et fourniture d’électricité.

Il existe en France de nombreux autres fournisseurs d’énergie que EDF : le marché est libéralisé depuis des années – et ces derniers risquent donc de se voir injustement lésés par un acteur public qui a des droits que eux n’ont pas et qui va en plus attaquer agressivement l’ensemble du secteur sur les tarifs. C’est d’ailleurs pour cela que le distributeur RTE s’oppose fermement au texte.

Il faut maintenant voir comment ce processus va se solder, et quelle sera, entre autres, la réaction de nos voisins européens.

5 Commentaires

5 Commentaires

  1. Ln2

    10 février 2023 à 14 h 27 min

    Attention à la conclusion, c’est plutot l’inverse.
    il y a une palanqué de fournisseur alternatif, mais à 99.99% ils ne fournissent rien, ils se contentent d’acheter à bas cout à EDF (qui leur vend à perte par la loi) en revendant plus cher et en prenant la marge au passage. Ils n’ont créé aucun électron, n’en ont transporté aucun et ont juste produit une facture.
    Quel est le service pour la nation de cette chienlit ?Aujourd’hui, c’est EDF qui subit des pertes démentes (plusieurs milliards par an) dans le seul but de financer les bénéfices des concurrents parce les fournisseurs ont des droits qu’elle n’a pas.

    • pascalou47

      10 février 2023 à 16 h 54 min

      tu m’a ôté les mots de la bouche !! tout a fait d’accord avec toi

    • Monolith

      11 février 2023 à 12 h 12 min

      Tout à fait !
      Même les cafards et autres parasites ne se comportent pas aussi bassement entre eux !
      Toutes les ressources vitales sont à sanctuariser et à soustraire du circuit des profits (énergies sous toutes leurs formes, nourriture, air, eau etc..)

      Les contrevenants sont à sanctionner pour crimes contre l’humanité.

  2. jean

    11 février 2023 à 17 h 07 min

    Nationaliser EDF, c’est bien, mais il faudrait aller plus loin. Ne pas obliger EDF à vendre à perte. Si les fournisseurs alternatifs veulent vendre de l’électricité, soit ils la produisent, soit ils l’achètent au prix du marché. Sinon ils mettent la clef sous la porte et on revient à un monopole d’état. L’électricité est une ressource de première nécessité, comme l’eau, elle n’a pas vocation à être un produit spéculatif.

  3. GAUGAIN

    21 février 2023 à 11 h 47 min

    Une simple remarque sur la possible non-conformité du texte vis-à-vis des directives européennes. En cas de saisine du conseil constitutionnel, ce dernier ne se prononcera pas sur cette question (le contrôle de conventionnalité n’étant pas de sa compétence depuis 1975), mais seulement sur les questions évoquées d’irrecevabilité financière (nouvelle dépense) et de cavalier législatif (disposition sans lien avec la nature du texte), ce qui n’enlève rien à la caducité du texte devant le conseil constitutionnel.

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