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Prismea : “la néo-banque des pros devra proposer un accompagnement humain”

Filiale du Crédit du Nord, la néo-banque Prismea va débuter sa carrière en offrant une solution digitale pour les professionnels. Mais dans un marché à forte concurrence, comment faire sa place ? Interview de ses deux fondateurs, Stéphanie Biron et Dorian Cauvas.

Contrairement aux millions de Français conquis par le modèle des néo-banques, difficile encore pour les professionnels de franchir le pas. Au Crédit du Nord, une nouvelle filiale 100 % numérique veut gagner la confiance des entreprises “déjà bien installées et structurées”. Prismea, qui entrera en concurrence avec Qonto et les comptes pro des banques traditionnelles, parie sur une offre fondée sur la data pour devancer les besoins futurs de ses clients. Plongée en plein dans l’essor flou de la fintech, la néo-banque est convaincue que les relations avec les conseillers devront être maintenues pour garantir sa pérennité.

Pour découvrir la stratégie de conquête de Prismea, nous nous sommes entretenus avec Stéphanie Biron et Dorian Cauvas, ses deux fondateurs. L’occasion d’en savoir plus sur la transition du numérique au sein des banques pour professionnels, et l’intervention de nouveaux acteurs extérieurs dans la constitution d’un socle bancaire. Interview.

Presse-citron : La banque connaît une véritable révolution avec l’essor des néo-banques entièrement numérisées. Tout d’abord, pourriez-vous revenir sur le concept de “néo-banque pour les professionnels” et nous dire ensuite ce que propose Prismea pour son lancement ?

Dorian Cauvas : En nous rendant sur le terrain auprès des entrepreneurs, nous avons fait un constat. Il fallait revoir l’approche de la banque traditionnelle en apportant plus de digitalisation, tout en conservant l’expertise et le savoir-faire de la banque.

De ce constat, avec Stéphanie, on est partis sur le développement d’une application mobile permettant d’optimiser et simplifier le quotidien des entreprises en leur donnant plus d’autonomie sur le contrôle de leur banque grâce au digital, et d’utiliser la data et le machine learning pour pouvoir leur proposer à terme des crédits instantanés. Nous sommes partis d’une problématique orientée client, pour établir une offre adaptée à leurs besoins, en collaboration avec un vrai groupe qui est le Crédit du Nord.

Presse-citron : Prismea a été imaginée au sein du programme intrapreunarial « Internal Startup-Call » de la Société Générale. Aujourd’hui, le projet est lancé officiellement par le Crédit du Nord. Pouvez-vous revenir sur les relations entre toutes ces entités ? Et existe-t-il des synergies possibles et envisagées entre tous ces établissements ?

Stéphanie : En sortant d’une startup call, nous avions besoin d’être sponsorisé par une banque. Nous avons présenté le projet en interne à Crédit du Nord et Boursorama Banque – et il nous a paru évident de nous rapprocher du Crédit du Nord. Ils sont extrêmement bien positionnés sur ce marché du pro et de la TPE, et ils ont un ancrage fort dans les territoires grâce à leur engouement régional.

Application Prismea
© Prismea

S’appuyer sur un réseau de quelque 900 agences, qui est celui du Crédit du Nord, nous permettait de répondre à cet objectif de digitaliser le quotidien de la banque transactionnelle et lui apporter les solutions adéquates. Nous nous appuyons sur cette expertise et nous profiterons de leurs conseillers pour des besoins spécifiques que les clients ne pourraient pas obtenir via l’application.

Ensuite, nous travaillons avec la startup Treezor (rachetée par Société Générale en 2019 ndlr), qui est un fort accélérateur dans le business model de Prismea. Treezor possède un agrément d’établissement de paiement, ce qui nous a permis d’aller décrocher en trois mois l’agrément d’agence de la startup auprès de l’ACPR. À côté de ça, Treezor développe des technologies qui nous ont permis de construire notre banque à la carte et proposer des services transactionnels, et toute la partie relative à la création d’un compte bancaire.

En six mois, nous avons développé toutes les interfaces clients avec tous les connecteurs. Nous sommes en production depuis novembre sur le socle bancaire de base, et Treezor nous permet de nous concentrer sur toutes les fonctionnalités que nous souhaitons, en partie basées sur les financements (le crédit instantané arrivera fin 2020 ndlr), ainsi sur le développement d’un machine-learning afin de mieux connaître le client et anticiper des produits qui seront adaptés et qui l’aideront dans son quotidien.

Presse-citron : Prismea se lance sur un marché ultra-concurrentiel, celui de la banque pour les professionnels. Entre les offres Pro des banques traditionnelles, celles de Boursorama Banque et N26, ou encore celles des néo-banques Qonto et Shine, où se place Prismea ?

Dorian : Si on prend les concurrents que vous avez cités, ils s’orientent davantage sur les créateurs d’entreprises naissantes. Pour nous, N26 et Revolut ne sont pas de véritables offres « pro ». On est davantage sur des offres professionnelles pour des entreprises individuelles. Chez Prismea, nous allons ouvrir des comptes à des SARL, à des SAS, autrement dit à des structures juridiques qui sont de “véritables” sociétés.

C’est là notre différenciation : notre axe est vraiment de viser le pro du quotidien, et les entreprises qui sont déjà installées et structurées. Ces structures ont besoin d’être entourées d’une sorte de coach financier, une banque pro qui va les guider sur cette partie de gestion de leur trésorerie quotidienne.

Presse-citron : Prismea veut donc davantage viser les TPE et PME, plutôt que les petits entrepreneurs comme les autoentrepreneurs et les professions libérales ?  

Dorian : C’est vrai qu’effectivement, notre offre et ce que nous voulons proposer visent davantage les entreprises plus structurées qui ont besoin de ces services-là, plutôt que les types d’entrepreneurs que vous avez cités. Mais cela n’enlève en rien que notre offre devrait aussi attirer de plus jeunes ou plus petits entrepreneurs.

Stéphanie : Un point important aussi, les néo-banques qui sont lancées en France sur ce marché, font un choix facile de viser les petits pros tant leurs besoins se rapprochent de ceux des comptes particuliers. En général, ces néo-banques n’ont pas les agréments de crédits et comme elles ne peuvent pas distribuer tous les services qu’une banque peut faire, elles sont en difficultés face aux boîtes plus structurées. Une néo-banque seule ne peut donc pas aujourd’hui être la banque principale de ce type d’entreprises.

Presse-citron : Aujourd’hui, les grandes néo-banques pour les professionnels recensent moins de 100 000 clients. Le marché est en pleine croissance, mais les chiffres sont difficilement comparables à ceux des néo-banques pour les particuliers – dont les clients se comptent en millions. Quels sont les freins pour les entreprises à la migration vers une banque en ligne ?

Dorian : Le marché du pro représente 4,7 millions d’acteurs en France. Effectivement, il est aujourd’hui grandement réservé à la banque traditionnelle. Comparés aux particuliers dans la transition numérique de la banque, les professionnels n’ont pas été suffisamment accompagnés au sein des territoires. C’est pour cela que le fait d’être une néo-banque tout en nous rattachant à un grand groupe de cette envergure va rassurer ces professionnels qui ne sont pas tous prêts à se tourner directement vers une néo-banque classique. Les pros du quotidien n’ont pas encore fait le pas, et ils ont besoin de savoir que derrière cette interface digitale, il y a une banque et qu’en cas de besoin plus complexe il pourra avoir y un relais.

Stéphanie : Forcément, on ne peut pas s’appeler « banque » car nous n’avons pas notre propre agrément de crédit. Mais nous sommes une marque à part entière, qui propose un outil bancaire au même titre que lorsque Boursorama Banque s’est lancé. Important à montrer : cet engouement pour les néo-banques depuis quelques années ne peut pas s’inscrire dans la pérennité. Pour arriver à fidéliser les clients sur le long terme il faudra de l’humain, de l’accompagnement. En bref, une relation entre le client et son conseiller.

Pour arriver à fidéliser les clients sur le long terme il faudra de l’humain, de l’accompagnement. En bref, une relation entre le client et son conseiller.

On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais nous avons de grandes ambitions sur Prismea. A savoir de nous développer en Europe, proposer du crédit, et concocter un ensemble de produits qui répondent à l’accompagnement des entreprises, dans leur rythme et leur transition numérique.

Presse-citron : En janvier dernier, on a vu la méga levée de fonds du français Qonto (104 millions d’euros ndlr). Prismea compte-t-il aussi attirer des investisseurs extérieurs ou s’appuiera-t-il uniquement sur sa société mère ? 

Stéphanie : Pour l’instant on a fait une première levée de fonds qui nous permet de développer notre identité. A l’heure actuelle, rien n’est décidé mais le groupe est ouvert à toute forme d’investissement et nous ferons peut-être des rapprochements qui nous permettront d’ajouter des volets produits à notre offre. Cela pourrait nécessiter l’ouverture de notre capital.

Presse-citron : Au Paris Fintech Forum, on a vu beaucoup de startups B2B spécialisées dans la création d’infrastructures pour la fintech. Prismea a fait le choix de s’appuyer sur la technologie Treezor pour son infrastructure – à l’instar de Qonto. Pouvez-vous expliquer à quel niveau sont-ils intervenus dans la création de votre néo-banque ?

Stéphanie : On s’appuie sur leurs API qui nous permettent la création des infrastructures pour les transactions bancaires, virements, prélèvements et puis la création de comptes bancaires et leur wallet. Mais Treezor n’est en rien intervenu sur notre roadmap, les fonctionnalités, le parcours client et tous ces éléments que nous avons développés sur Prismea avec Dorian. On consomme Treezor sur la partie classique bancaire – le cœur qui correspond simplement aux capacités de transactions et l’architecture technique du compte bancaire. Par contre, tous les services en plus, c’est vraiment notre histoire et notre expertise.

On pourrait imaginer dans un futur proche grâce au cloud qu’on puisse consommer des briques basiques bancaires sécurisées car tout le monde va avoir besoin de ces éléments-là pour construire son offre. Ce que l’on ne peut pas externaliser, c’est toute l’intelligence, tout le métier bancaire, qui est spécifique à chaque offre en fonction des clients, de la taille des entreprises, de l’angle que l’on veut donner à la néo-banque. Il y a tellement de fonctionnalités que l’on peut déployer, et il est nécessaire que celles-ci soient internalisées au sein de la structure de la néo-banque. C’est de la connaissance client, c’est du travail sur les parcours et sur le produit et cela ne peut pas être mutualisé sur une plateforme en externe.

Presse-citron : Prismea est en version bêta pour le moment, et son lancement officiel est prévu au courant du trimestre. Pouvez-vous communiquer certains détails sur vos produits en préparation, ainsi que sur vos ambitions ?

Dorian : En suivant notre socle bancaire qui sort ce premier trimestre, notre roadmap sera principalement dédiée à la gestion de trésorerie, à l’optimisation, le travail sur le prévisionnel et toute la partie data. Notre ambition en fin d’année serait de proposer un service de crédit instantané. Par la suite, d’autres fonctionnalités arriveront, comme la gestion des notes de frais et des services provenant des partenaires externes.

Stéphanie : Après cet enrichissement du socle bancaire, nous lancerons un agrégateur de comptes. Nous nous appuierons sur des API grâce à la nouvelle réglementation DSP2, qui nous permettra aussi de faire des virements d’autres comptes bancaires que celui de Prismea. Ce sera un chapitre important dans la construction de Prismea, dans l’optique d’avoir cette orientation de trésorerie. Nous ne pouvons pas faire du conseil auprès du client si nous n’avons pas l’ensemble de ses flux bancaires.

Dorian : Nous avons trois axes d’acquisition : le marketing digital, l’encrage sur le territoire avec des partenaires professionnels représentant des corps de métiers, et enfin le réseau des agences du groupe Crédit du Nord. Nous sommes dans la même lignée d’acquisition des autres néo-banques, sur 12 et 24 mois. Nous sommes dans ce même rythme-là.

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