Fibre optique : dans l’enfer des télécoms

Malgré 14,5 millions d’abonnés à la fibre en France (chiffres à fin 2021), soit 4 millions de plus en un an, un record, Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, a du mal à se réjouir. Le 6 avril dernier, lors d’un séminaire organisé par les cabinets de consil KPMG et Smart World Partners, elle déclarait :

On ne peut pas imaginer avoir dépensé autant d’argent public et privé dans la fibre optique, avec autant d’espoir de progrès pour les citoyens, et avoir une déception d’usage après.

Les raisons de son mécontentement : un déploiement de la fibre qui s’accélère certes, mais avec des résultats pas toujours probants. Surtout, la mise en place de la fibre optique est devenu un véritable enfer pour les opérateurs. Le Monde a mené l’enquête sur le terrain pour constater l’ampleur des dégâts.

“Vous êtes raccordé à la fibre optique”, ou pas

Au départ, il y a une promesse : fournir un accès à la fibre optique aux Français. On vérifie l’éligibilité, on souscrit à une offre, puis l’opérateur nous promet une délai de quelques jours (au mieux) ou semaines pour un raccordement et une mise en service. Ça, c’est le processus normal d’une souscription à une offre fibre. Malheureusement, il y a des couacs, de plus en plus nombreux.

“Nous avons pris la fibre en août 2021, lors de notre emménagement” raconte Baptiste Perrin, habitant de Nozay (Essonne) au Monde. En septembre, première coupure. Après signalement la connexion est revenue, avant d’être de nouveau coupée quinze jours plus tard. Et ainsi de suite… Depuis octobre, nous n’avons plus aucune connexion, car il n’y a plus de fibre disponible”.

Ce foyer a beau contacter les services techniques, les différentes infrastructures se renvoient la balle. “On est pris en otage” conclut-il.

Certains n’ont pas cette patience. Laura Guedj, habitante de la Côte Fleurie, attendait son raccordement dans un délai de quatre à cinq semaines. “Finalement, il fallait attendre six mois de plus, tout en payant l’abonnement” témoigne-t-elle. Elle a fini par “rendre le matériel avec fracas en boutique”.

Ces situations ne sont pas isolées. Selon les estimations de l’Arcep, elles concerneraient 15 à 20% des abonnés à la fibre en France. C’est beaucoup trop.

Western spaghetti

Pour comprendre les raisons de ces défaillances, les journalistes du Monde ont suivi une équipe de techniciens… et on découvert le monde merveilleux des armoires de rue sur lesquelles se raccordent toutes les lignes de fibre optique d’une même zone.

C’est dans ce condensé de câbles, appelés “plats de nouilles” dans le jargon, que les professionnels du secteur jouent les cowboys dans un western spaghetti qui ne fait rire personne.

Le processus de raccordement est pourri jusqu’à sa substantifique moelle. D’abord, il y a une mauvaise communication entre opérateurs d’infrastructures (propriétaires du réseau) et opérateurs commerciaux (qui raccordent les foyers).

Ensuite, il y a des sous-traitants bien trop nombreux (jusqu’à 8 rangs) et des techniciens mal formés et mal payés, lorsqu’ils sont payés. “Altitude recense 300 interventions par heure sur son réseau en France, sans savoir qui est intervenu” explique son Président David Elfassy, qui estime à 25/30% la part d’échecs de raccordements.

“Beaucoup d’intervenants sur la chaîne ne gagnent pas suffisamment d’argent” renchérit Philippe Le Grand, président d’InfraNum, l’association professionnelle de la fibre. Certains travaillent à perte et prennent des risques. On aura des morts si ça continue”, s’inquiète-t-il.

Ce déploiement à bas coût pousse les acteurs du marché à adopter la méthode du “brancher coûte que coûte”. “Quand il n’y a plus de place pour raccorder un nouveau client dans l’armoire de rue, certains techniciens sont tentés de débrancher un abonné pour prendre la ligne” explique Olivier Corolleur, directeur fibre, infrastructures et territoires à l’Arcep.

Pire encore, certains n’hésitent pas volontairement détériorer les infrastructures. Un opérateur explique avoir vu “des sous-traitants qui coupent par vengeance, car ils n’ont pas été payés par le donneur d’ordre”.

Alertée par ces pratiques, l’Arcep emploie désormais la manière forte. En novembre 2021, elle lançait une enquête administrative contre XP Fibre, filiale de SFR. Elle ne s’interdit pas “de réfléchir à un renforcement de ses pouvoirs”.

Les politiques aussi ont perdu patience. Le 5 avril dernier, Marie-Pierre Rixain, députée LRM de l’Essonne, a présenté une proposition de loi “visant à responsabiliser les opérateurs chargés du déploiement de la fibre”. Elle propose, entre autres, d’obliger les techniciens à détenir une “certification délivrée par l’autorité compétente” pour pouvoir intervenir.

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