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Ukraine : la guerre des mèmes fait rage et on connaît déjà son vainqueur

Ukrainiens et russes s’affrontent sur le terrain de l’humour en ligne. L’enjeu de cette bataille est tout sauf anecdotique.

« Vladimir Poutine craint beaucoup l’humour car c’est un outil efficace et accessible pour diffuser la vérité ». Dans une interview accordée à The Atlantic en avril dernier, Volodymyr Zelensky ne tournait pas autour du pot. L’ironie et la satire sont devenues de véritables armes de communication massive pour son pays. C’est cette bataille symbolique que nous allons vous raconter aujourd’hui.

On verra que les Ukrainiens ont marqué de nombreux points dans ce domaine depuis février dernier. Mise en difficulté sur le terrain de la propagande en ligne, la Russie a tenté de répliquer. Mais sa stratégie des fermes de trolls n’est pas forcément très subtile, et elle comprend de nombreuses limites sur lesquelles nous reviendrons.

Pourquoi les Ukrainiens misent à fond sur l’humour en ligne ?

Bien avant l’invasion de février dernier, l’Ukraine a souhaité contrer la puissance de son voisin dans le domaine informationnel. Dès son arrivée au pouvoir en mai 2019, Volodymyr Zelensky a ainsi décidé de nommer d’anciens collègues de sa société de production audiovisuelle à des postes de conseillers, rappelle le Washington Post.

Ce qui passe alors pour du népotisme se révèle en réalité très efficace à plus long terme. Très vite, le nouveau pouvoir tente en effet de sensibiliser la population ukrainienne aux tentatives de manipulation venant de Russie. Dans le même temps, les programmes télé ont tendance à renfoncer l’identité nationale ukrainienne. De nombreuses émissions satiriques sont par ailleurs diffusées à la télévision et se moquent ouvertement du régime de Vladimir Poutine.

Une fois la guerre démarrée, et bien que ce conflit ne prête clairement pas à rire, Volodymyr Zelensky et son gouvernement optent pourtant pour une approche de communication basée sur l’humour. Comme l’explique Chonlawit Sirikupt, chercheur à l’Université Eberhard Karl de Tübingen : « Lorsqu’une société vit des événements traumatisants, la satire et l’humour noir peuvent aider les individus à contrer les sentiments d’impuissance et de détresse. »

Il ajoute :  Kiev utilise tout cela dans sa campagne d’information visant à affaiblir l’image de l’armée russe et du président russe Vladimir Poutine tout en cultivant la solidarité ukrainienne. Pour ce faire, elle utilise quelques messages clés ciblés. »

Les exemples de cette stratégie sont très nombreux. On peut notamment citer ce tweet où l’on voit des tracteurs ukrainiens récupérer des tanks russes. « Ne plaisantez pas avec nos agriculteurs nos fermiers », menace le compte Twitter gouvernemental. De quoi faire sourire et attirer la sympathie face à la toute puissance de l’envahisseur.

Plus récemment, le ministère de la défense ukrainien a ironisé sur la débâcle de l’armée russe dans la région de Kharkiv où du matériel militaire a été abandonné  : « Le dernier char russe T-90M a été trouvé en parfait état. Nous demandons à son (ses) propriétaire (s) de contacter notre armée. Merci de vous identifier par un signe : un drapeau blanc. »

Une brigade internationale de mèmes à tête de chiens sonne la charge

Dans cette guerre de l’humour, le gouvernement de Kiev peut aussi compter sur le soutien d’internautes qui veulent aider l’Ukraine. La NAFO, l’organisation des fellas de l’Atlantique nord, s’est lancée en juin dernier à la suite d’une altercation en ligne entre un twittos et l’ambassadeur de Russie auprès des organisations internationales à Vienne.

Plusieurs centaines de membres la composent désormais, précise Le Monde qui a enquêté sur ce mystérieux groupe. Ils arborent tous fièrement des photos de profil arborant des chiens shiba habillés en soldats ou en agents de la CIA. Il s’agit de doge, un mème bien connu, grand classique de la culture web.

Très efficace, la NAFO s’adonne à des raids numériques, un peu à la manière dont les pratiquent les fermes de trolls russes. Cette tactique n’a pas manqué de taper dans l’œil du gouvernement de Volodymyr Zelensky qui soutient leur démarche. Oleksiy Reznikov, le ministre de la Défense de l’Ukraine, a ainsi salué le 4 septembre dernier pour remercier « la NAFO, pour son combat acharné contre les trolls et la propagande du Kremlin. »

Cette initiative présente toutefois certains risques de dérive. Nos confrères citent ainsi en exemple une vidéo partagée par des membres de l’organisation début septembre, où l’on voit un soldat russe blessé qui hurle de douleur. Cet extrait est transformé en mème assorti de moqueries, une idée qui fait débat au sein de la communauté, car les limites éthiques sont clairement atteintes.

Une réplique délicate et des ratés côté russe

Face aux méthodes de communication efficaces mises en place par les Ukrainiens, les Russes semblent tâtonner. Sur le plan interne, et alors que les autorités ont officiellement coupé l’accès à Twitter, Facebook, et Instagram, la riposte se fait sur l’application Telegram, et sur le réseau social VKontakte, l’équivalent local de Facebook.

Pour les besoins de cet article, nous avons parcouru plusieurs pages de soutien à l’invasion en Ukraine. On y retrouve de nombreux mèmes visant à décrédibiliser l’État voisin, dont beaucoup ne sont tout simplement pas diffusables dans nos colonnes. Ce qui marque surtout, c’est le registre très premier degré de l’humour employé. Il semble plutôt viser un public assez âgé et conservateur.

Dans certains visuels, les Ukrainiens sont accusés d’avoir noué un pacte diabolique avec l’Oncle Sam qui tirerait toutes les ficelles en coulisse. Une autre image ne fait pas dans la dentelle et compare une base de l’OTAN à des toilettes publiques.

propagande russe
© VKontakte

Outre ces mèmes destinés à appuyer le discours du régime auprès des citoyens russes, on peut aussi distinguer une stratégie tournée vers les opinions publiques occidentales. Une vidéo cryptique partagée par plusieurs ambassades russes sur Twitter en juillet dernier emprunte à Game of Thrones en affirmant que « L’hiver arrive », en référence aux difficultés énergétiques que pourraient rencontrer l’Union Européenne et les États-Unis.

Les internautes sont donc invités à venir en Russie où « la cuisine est délicieuse, les femmes sont belles, et l’énergie est bon marché ». Comme l’analyse le Financial Times, l’idée n’est probablement pas de faire venir de nombreux visiteurs sur place mais de “troller” l’Occident. Le message pourrait ainsi faire mouche auprès des citoyens situés à l’extrême droite avec des références à la “cancel culture”.

Une campagne de manipulation déjouée par Facebook

Pour tenter de soutenir son invasion de l’Ukraine, la Russie a également tenté de monter l’opération Cyber Front Z. Contrairement à la NAFO dont nous avons parlé plus haut, cette initiative n’avait aucune spontanéité. Des chercheurs de Meta (anciennement Facebook) et une enquête du média russe indépendant Fontanka ont en effet permis d’établir un lien avec Evgueni Prigojine, un homme d’affaires proche de Vladimir Poutine.

Outre la fondation du groupe de mercenaires Wagner, on lui attribue aussi la création de l’Internet Research Agency, une organisation spécialisée dans la propagande sur Internet. Dans le cadre de Cyber Front Z, l’idée était de repérer certaines cibles telles que des libéraux russes opposés à la guerre, ou certains hommes politiques occidentaux réputés favorables à l’Ukraine.

Une armée de trolls était ensuite lancée et ils devaient commenter sur leurs différents profils afin de tenter d’influencer l’opinion publique en faveur du Kremlin. Rien ne s’est passé comme prévu, et l’expérience a tourné court. Des experts de Facebook l’ont d’ailleurs qualifié de « maladroite et largement inefficace ».

Un des messages déployés lors de cette opération montrait notamment le métro de Lyon où les horaires d’ouvertures étaient censés avoir été réduits en raison des prix élevés de l’énergie. Problème, cette photo a été prise par un touriste russe de passage dans la ville lumière en 2015.

En Russie, cette tentative n’a d’ailleurs pas tellement mieux fonctionné. Sur Vkontakte, où des offres d’emplois pour le Cyber Front Z étaient diffusées, un internaute a ainsi ironisé : « Exigences : 1) QI inférieur à 70 ».

Il est intéressant de mentionner pour finir que certains internautes russes en opposition avec la guerre manient aussi l’arme de l’humour. Ces initiatives sont courageuses car les intéressés risquent des sanctions extrêmement lourdes. À l’image de cet utilisateur de Twitter qui a récemment demandé s’il était possible d’obtenir le statut d’agent de l’étranger (un label mis en place par le régime pour réprimer ses opposants Ndlr), en échange d’un pot de vin.

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