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L’existence précède l’essence, l’écologie lui succède

Jusqu’ici forte et soudée, l’Europe se désolidarise sur l’interdiction du moteur thermique. Les pays privilégiant maintenant leurs intérêts individuels à ceux du collectif.

Son hétérogénéité ne l’avait pas encore fait pâtir sur la question. Début mars, l’Union européenne a pourtant dû rétrograder à l’approche de son vote pour l’interdiction des voitures thermiques en 2035. L’Allemagne, la première puissance de l’alliance, faisait sa volte-face, rapidement rejointe par l’Italie, la République tchèque ou encore la Pologne. Le projet, désormais, est au point mort.

Si l’existence précède l’essence, comme l’exposait Sartre pour résumer son propos sur l’existentialisme, nous pourrons dire qu’il en est bien différent de l’écologie en 2023. L’essence, la vraie !, a fait l’objet de nouveaux amendements discutés ce lundi 27 mars entre les 27 ambassadeurs des États membres. Les spécificités d’assouplissement souhaitées par les pays réfractaires à l’arrêt du moteur thermique sont passées.

La France, avec son ministre délégué chargé des Transports, Clement Beaune, a pourtant signalé qu’elle allait faire appel à cette décision pour maintenir le texte de départ, qui veut dire adieu au moteur thermique dans 12 ans. “Non, le texte sur l’interdiction des voitures thermiques en 2035 n’a pas été modifié et ne le sera pas”, écrivait-il sur Twitter, en réponse à un premier post annonçant la victoire de ses homologues allemands, tchèques, italiens et polonais.

“Nous sommes prêts à aller au bras de fer sur ce sujet parce que c’est une faute environnementale” s’exclamait déjà Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, le lundi 13 mars sur Franceinfo. En cause, le e-fuel, un carburant de synthèse que l’Allemagne et l’Italie veulent pouvoir conserver pour pouvoir donner un avenir à leurs marques de voitures de sport. Porsche et Ferrari. Les deux sont la principale raison de l’intérêt des pays à modifier les textes des directives européennes.

“Je ne peux pas dire à nos deux grands industriels Stellantis et Renault, qui ont fait le choix courageux de basculer vers l’électrique : attendez, finalement on va aller vers l’électrique, mais on va quand même rester un peu au thermique” ajoutait il y a trois semaines Bruno Le Maire. Un argument valable pour Renault, décidément résolu à se tourner vers l’électrique (malgré sa co-entreprise Horse), mais un peu moins pour Stellantis, dont son patron Carlos Tavares s’est toujours montré réfractaire à une transition trop rapide et forcée.

La faute à Porsche et Ferrari

Si l’Allemagne est le pays le plus motivé à faire changer les choses, c’est que son industriel Volkswagen a énormément investi dans le carburant synthétique, déjà. La production a commencé en septembre 2022 entre Porsche, Siemens Energy, Exxon Mobil et Enel Green Power, non loin du Cap Horn au Chili. Le constructeur allemand souhaite pouvoir en faire sortir jusqu’à 550 millions de litres par an d’ici 2026, et a déjà investi plusieurs centaines de millions de dollars pour mener à bien le projet.

Porsche et Ferrari ont beau écouler bien moins de voitures que les constructeurs traditionnels, les deux marques font pourtant partie des plus performantes en Bourse. L’une comme l’autre a vu le prix de son action exploser, les marges de rentabilité de chaque exemplaire vendu étant bien plus élevées que chez la concurrence. Ferrari a même la main-mise totale sur sa production, pour lui permettre de jongler entre un chiffre d’affaires en perpétuelle croissance et une culture de la rareté de ses modèles contrôlée.

Cette situation souligne “des questions plus profondes sur les forces économiques et sociales en jeu dans la transition de l’Europe vers les technologies vertes”, écrivait dans un billet l’agence Automotive News, renvoyant vers l’image particulièrement conservatrice du milieu automobile. “Je dirais que c’est presque pathétique”, commentait le patron de la marque Polestar (100 % électrique aujourd’hui), Thomas Ingenlath, lors d’une interview. “L’industrie et les hommes politiques devraient enfin donner un signal très clair sur la voie à suivre”, ajoutait-il.

Seulement voilà, en Allemagne, selon une étude de Nordlight Research datant de novembre 2022, près des trois quarts des Allemands répondaient vouloir que leur prochaine voiture soit équipée d’un moteur thermique.

Le e-fuel : passé, présent, futur

En Allemagne, le carburant synthétique ne possède pourtant pas cette image de menace à la fin du moteur à combustion comme on l’entend. Pour elle, il s’agit déjà d’une avancée, neutre en carbone, essentiellement formée d’électricité (renouvelable) transformée en carburant liquide combustible. Pour le produire, il faut en effet mélanger de l’hydrogène avec du dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère. Ensuite, les échappements recracheront à nouveau ce CO2, mais il n’en aura pas plus qu’il y en avait avant la production (d’où l’aspect “neutre”).

Celui que l’on appelle aussi aujourd’hui le e-fuel ne date pas d’hier. Son procédé original appelé Fischer-Tropsch, a été inventé en 1925. Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne en avait d’ailleurs eu recours pour ses engins alors à court de pétrole. Si sa production reprend de plus belle aujourd’hui, et à rythme soutenu, c’est parce qu’il sera intégré à la Formule 1 en 2026. Le championnat roi du milieu du sport automobile passera en effet au carburant synthétique dans ce même but que Porsche et Audi : préserver la légèreté des voitures… et le bruit de leur moteur.

Coup de frein ou non à la politique écologique de l’Europe, c’est ironiquement du côté du spécialiste du freinage automobile Brembo que la question trouve sa meilleure réponse. “La tendance à l’électrification de l’industrie automobile est à ce stade une sorte de train fou. […] Cela pourrait être encore pire de s’arrêter ou de retarder en raison de l’énorme investissement des constructeurs automobiles”, commentait Roberto Vavassori, un cadre du fabricant basé en Italie.

“La question principale est de savoir comment et où allons-nous trouver toute l’énergie propre dont le processus de transition électrique a besoin. Nous pourrions vite nous rendre compte que l’Europe ne sera pas prête pour cela, en termes d’infrastructures, en 2035”.

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2 commentaires
2 commentaires
  1. Vraiment on marche sur la tête… on leur dis vous avez 15 ans pour transitionner, ils sont capable de dire qu’ils auront pas les infrastructures…

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