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Deliveroo lourdement condamné pour travail dissimulé, et après ?

Coup dur pour Deliveroo France, victoire pour les opposants à l’uberisation. Le tribunal correctionnel de Paris a sévèrement condamné le géant de la livraison de repas pour travail dissimulé. Explications.

“La SAS Deliveroo France, prise en la personne de ses représentants légaux entre avril 2015 et décembre 2017, a été condamnée pour le délit de travail dissimulé au paiement d’une amende délictuelle de 375 000 euros et à indemniser au titre des préjudices subis les livreurs qui se trouvaient être en réalité ses salariés”.

Voilà le message qui sera affiché sur la page d’accueil de Deliveroo France pendant un mois à compter du 19 avril. Cette mauvaise publicité, Deliveroo France la doit à ses pratiques en matière de ressources humaines.

Le tribunal correctionnel de Paris a rendu un jugement inédit en France. Pour la première fois, une entreprise dont le modèle repose sur l’ubérisation du travail s’est faite épinglée pour travail dissimulé.

Lien de subordination avéré

Pour expliquer sa décision, le tribunal a avancé que Deliveroo France avait, sur la période de 2015 à 2017, enfreint les lois régies par le Code du travail en utilisant des milliers de coursiers comme “variable d’ajustement permettant de disposer d’une flotte adaptée et réactive face au nombre de commandes enregistrées chaque jour”. Et d’ajouter :

Seule la très grande flexibilité générée par les pratiques délictuelles commises et imposée assurait la pérennité du modèle.

Plus simplement, Deliveroo France est censé travailler en collaboration avec des coursiers indépendants (souvent ayant opté pour le statut d’autoentrepreneurs). Ce statut implique de n’avoir aucun lien de subordination entre le coursier (entreprise individuelle) et le client (Deliveroo). Or, le tribunal a estimé qu’il existait un “lien de subordination permanent” entre Deliveroo et ses coursiers.

Parmi les contraintes imposées par la plateforme, les juges ont retenu le port obligatoire de la tenue siglée Deliveroo, la formation théorique et pratique technique dispensée avant de commencer leur activité, l’interventionnisme et le contrôle pendant la durée de la prestation, la définition unilatérale des modalités d’exercice de la prestation, de sa tarification ou de l’attribution des zones de livraison. Enfin, le tribunal a souligné un pouvoir de sanction de Deliveroo envers les livreurs.

Le tribunal explique aussi que les livreurs ont “de façon majoritaire, créé leur statut d’autoentrepreneur pour pouvoir ‘prester’ pour Deliveroo et n’avaient pas de réelle volonté de créer une entreprise avant que cela ne leur soit demandé par cette société”. Et j’ajouter :

Les différentes vidéos, les ‘dix commandements du biker’ et les messages collectifs réguliers rappelant les différents modes opératoirs avant, pendant et après les livraisons, établissent l’intervention de Deliveroo et la définition par cette société du mode opératoire sans aucune marge de manoeuvre pour le livreur, qui, s’il était réellement un prestataire indépendant, devrait pouvoir décider de la façon de réaliser son activité”.

Le début d’une longue liste ?

Pour leur défense, les prévenus ont misé sur l’argument selon lequel Deliveroo France ne serait qu’une “plate-forme de mise en relation” et non une société de services. Une argumentation qui n’a pas convaincu les juges pour qui Deliveroo, contrairement aux plateformes de ventes de biens (Leboncoin, eBay, Vinted) ou de fournitures de services (Airbnb, Drivy), interdit tout contact direct entre le restaurateur et le client final.

En conséquences, l’entreprise a donc été condamnée à une amende de 375 000 euros et à indemniser les livreurs qui ont exercé en tant que prestataires alors qu’ils auraient dû être salariés.

Par ailleurs, Adrien Falcon et Hugues Decosse, deux des anciens dirigeants de la société, ont été condamnés à une peine d’un an de prison avec sursis et 30 000 euros d’amendes, assortie de l’interdiction de diriger une entreprise pendant 5 ans. Une peine de quatre mois de prison avec sursis et une amende de 10 000 euros a été retenue contre Elie de Moustier.

Les trois prévenus sont également condamnés solidairement à payer des dommages et intérêts à l’ensemble des coursiers (environ 120) qui s’étaient constitués partie civile. Ils recevront des sommes comprises entre 1000 et 4000 euros au titre de leur préjudice civil ou moral. Les prévenus sont aussi condamnés à verser des dommages et intérêts aux syndicats ainsi qu’à l’URSSAF.

Ces condamnations sont une première en France et pourraient bien faire trembler les géants de la livraison comme Uber Eats ou toute autre entreprise ayant basé son modèle sur l’ubérisation du travail. Ce jugement fait désormais jurisprudence et ouvre donc la porte à des renégociations, voire des changements de modèles économiques.

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